L'éducation, la collaboration et la non-compétition, la démocratie, le temps qui presse, en passant par la situation avec la Russie et la méfiance à l'égard de la science sont autant de sujets abordés à l'occasion d'une table ronde sur le développement durable et la gouvernance de l'Arctique, le 24 mai, au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins. La rectrice Sophie D'amours a pris part à la discussion, aux côtés d'experts venus d'aussi loin que Cambridge Bay, au Nunavut, Umeå, au nord de la Suède, ou Arendal, en Norvège.
L'Université Laval accueille la quatrième assemblée de l'Université de l'Arctique, qui rassemble quelque 120 participants d'une douzaine de pays sur le campus jusqu'au 26 mai. On sent chez ces gens un amour profond du Nord, comme David Hik, qui a décrit son plaisir d'être allongé dans la toundra à regarder les oies. Mais le directeur exécutif des programmes de Savoir Polaire Canada constate aussi le fossé entre le Nord et le Sud, dans les services, les infrastructures, l'accès à l'éducation, aux soins de santé, au transport, à une habitation adaptée et à de l'eau potable…
L'éducation, la jeunesse et la nature
«Quel espoir avez-vous pour le futur?», a demandé, en anglais, Lars Kullerud, animateur de la discussion et président de l'Université de l'Arctique, aux six panélistes. Jean Lemire, biologiste et émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques pour le gouvernement du Québec, a répondu en trois temps: l'éducation, la jeunesse et la nature.
«L'éducation est la clé pour l'avenir, peut-être faudra-t-il qu'elle soit un peu différente et plus ouverte aux savoirs traditionnels, pour un vrai partage des connaissances. À l'éducation est liée la jeunesse. J'ai la chance de visiter les différentes COP et grandes rencontres internationales et quand je vois le pouvoir de la jeune génération qui nous pousse, je trouve ça très inspirant. Quant à la nature, il ne faut pas seulement la voir comme un endroit où jouer la fin de semaine. Si l'on comprend de plus en plus qu'on en fait partie, alors nous pourrons avoir pour elle une vision différente et plus respectueuse.»
La rectrice Sophie D'Amours partage son optimisme au sujet de la jeunesse et estime que les établissements d'enseignement supérieur ont un rôle à jouer pour accompagner la génération montante. «Nous sommes aussi réalistes, nous faisons face à de très grands défis environnementaux, démographiques, géopolitiques, à de l'iniquité. La jeune génération aura à être bien préparée pour agir et vivre selon ses ambitions.»
Elle estime que pour y arriver, il faut accepter de revisiter les façons d'enseigner et de faire de la recherche. Au-delà du partage de connaissances, dit-elle, il importe de développer des compétences dans tous les programmes et dans toutes les disciplines pour soutenir le développement durable.
La rectrice a réitéré l'engagement de l'Université d'ouvrir ses portes à toutes les jeunes générations, y compris celles des premiers peuples.
Rachel Guindon a côtoyé les communautés inuites en étudiant l'impact sur la végétation du bœuf musqué, une espèce introduite par l'humain au Nunavik, comme le rapportait ULaval nouvelles l'an dernier. Celle qui finit sa maîtrise en biologie à l'Université Laval a raconté à l'auditoire à quel point elle se nourrit des expériences et des perspectives des uns et des autres.
Elle a d'ailleurs pu échanger en norvégien avec quelques participants avant la table ronde, elle qui a appris la langue lors d'une année d'échange, puis d'un stage en Norvège.
De la politique et des humains
«L'Arctique, c'est international, c'est de la géopolitique. En tant qu'étudiant ou chercheur, même si nous voulons faire des efforts, trouver des solutions, on n'a pas le choix de voir les choses avec un œil global», lance la jeune femme qui poursuit ses projets en collaboration avec les Inuit.
Lena Maria Nilsson, coordonnatrice de projets au Département d'épidémiologie et de santé globale de l'Université d'Umeå, s'intéresse pour sa part aux changements dans le mode de vie et l'alimentation des Samis, peuple autochtone au nord de la Suède. Celle qui rêve d'un monde sans compétition et d'une collaboration à grande échelle a toutefois secoué l'optimisme ambiant. «J'ai beau avoir une longue tradition et des connaissances sur la neige et le ski, si la neige disparaît, que vaut mon savoir traditionnel et en quoi il est utile?»
Selon elle, le capitalisme est l'un des défis les plus importants pour construire un avenir durable.
«Le futur n'attendra pas»
À ses côtés, Hilligje van't Land, secrétaire générale de l'Association internationale des universités, s'inquiète pour la démocratie «qui va dans toutes les directions». Elle constate un désengagement politique, alors que l'humanité a besoin de leadership et d'engagement. «Le futur n'attendra pas», glisse-t-elle.
Sur l'épineuse question de la Russie, des enjeux éthiques et de sécurité qui minent la collaboration en recherche, elle prône une réintégration des chercheurs de partout le plus rapidement possible, autour de l'Arctique en particulier.
«Les choses fonctionnent même si la situation est difficile», intervient Jean Lemire. Il donne l'exemple de la COP15 sur la biodiversité à Montréal, en décembre, qui a abouti par consensus à un cadre ambitieux grâce à un «travail de corridors» avec la Russie. «Ça montre aussi le pouvoir de collaborer.»
Méfiance à l'égard de la science
Alors qu'une participante a demandé aux panélistes ce qu'ils pensaient de la méfiance à l'égard de la science, plusieurs préconisent une présence des scientifiques dans l'espace public.
«La solution commence avec nous, on peut tous être ambassadeurs de la science, croit Rachel Guindon. Nous avons des connaissances sur le Nord, sur les changements climatiques. On doit aller dans les écoles pour en parler, aller à la radio pour raconter nos recherches et les rendre accessibles. Quand les gens sentent l'émotion, comme dans les documentaires et les films de Jean Lemire sur l'Arctique et l'Antarctique, ils voient que c'est important, que ça existe. Il faut aussi amener plus d'Autochtones à faire leurs propres documentaires, leurs propres films pour montrer comment l'Arctique est en train de changer.»
Les chercheurs membres de l'Université de l'Arctique, un réseau d'universités, de collèges, d'instituts de recherche et d'autres organisations concernées par l'éducation et la recherche dans et sur le Nord, ont poursuivi leurs discussions au Musée de la civilisation, le 24 mai, en soirée. Ils ont pu visiter l'exposition C'est notre histoire, Premières Nations et Inuit du XXIe siècle et apprécier les chants de gorge et tambours traditionnels d'artistes inuits.