Un permis d’études qui n’arrive pas, une demande pour une résidence permanente que l’on attend depuis deux ans, des documents à fournir à nouveau pour une réunification familiale, une demande d’asile dont le permis de travail tarde à entrer, un avis d’interdiction de séjour au Canada dans les 30 jours alors que votre vie est peut-être menacée dans votre pays d’origine: voilà quelques-unes des situations administratives complexes auxquelles doivent faire face de nombreux immigrants venus refaire leur vie au Canada. Dans bien des cas, ces personnes n’ont d’autre choix que de se tourner vers le bureau de circonscription de leur député fédéral pour obtenir de l’aide.
Ces données sont tirées d’une étude réalisée par l’équipe de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales de l’Université Laval et dont le rapport a été publié en mars dernier. Les auteurs sont les professeures Danièle Bélanger et Adèle Garnier, du Département de géographie, Laurence Simard-Gagnon, professionnelle de recherche au même département, Gabriel Bergevin-Estable, étudiant inscrit à la maîtrise en sciences géographiques, et Benoît Lalonde, responsable de travaux pratiques et de recherche au même département. Dans leur recherche financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, les chercheurs ont examiné le travail des adjointes et des adjoints spécialisés en immigration dans les bureaux de circonscription fédéraux afin de mieux connaître leur rôle dans le soutien aux résidents nouvellement arrivés au Canada. Ces adjoints représentent les élus fédéraux auprès des commettants.
«Ce projet me tenait à cœur, explique la professeure Bélanger. J’ai passé plus de 20 ans à faire des projets de recherche auprès des personnes en migration, particulièrement celles qui vivent des situations difficiles de précarité du fait de leur statut migratoire qui comporte des droits restreints. Je me suis intéressée à celles et ceux qui assistent les personnes dans leur processus juridique et administratif et j’ai identifié un maillon important, celui des adjointes et des adjoints à l’emploi des bureaux de circonscription fédéraux. Au Canada, ce sujet n’avait pas été étudié. En science politique, les projets de recherche sur les bureaux de circonscription mettent souvent toute l’attention sur les députés.»
Les salles d’urgence de l’immigration
Le rapport de plus de 40 pages s’intitule Les salles d’urgence de l’immigration – Les bureaux et les adjoints de circonscription comme première ligne de l’immigration au Canada. Les données ont été recueillies au moyen d’une enquête Internet. Les 338 bureaux de circonscription fédéraux ont été joints et 117 adjointes et adjoints ont accepté de répondre à un questionnaire en ligne. Trente-et-un d’entre eux ont ensuite été rencontrés pour un entretien semi-dirigé d’une heure trente à deux heures. Ces derniers se répartissent dans l’ensemble des provinces canadiennes et l’ensemble des partis politiques. Ils travaillaient autant dans des milieux ruraux qu’urbains.
Selon la chercheuse, le travail des adjointes et des adjoints est devenu un maillon essentiel dans les parcours migratoires de milliers de personnes. «Leur rôle est crucial mais trop souvent méconnu, dit-elle. Au ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, le Centre d’appel, qui dessert les bureaux de circonscription, a reçu 230 000 requêtes entre septembre 2018 et octobre 2019. Cela fait près de 18 000 appels téléphoniques et courriels par mois en provenance des 338 bureaux. C’est énorme! Ces requêtes concernent principalement les dossiers d’immigration temporaire ou de réunification familiale.»
Des services administratifs et du soutien émotif
«La métaphore des salles d’urgence vient des échanges avec les adjointes et les adjoints, souligne Danièle Bélanger. Beaucoup de dossiers sont ouverts depuis plus d’une année. Les situations d’urgence, on les voit dans les médias lorsque, par exemple, un député se positionne quant à la déportation d’une famille. On est vraiment dans l’urgence. Comme lorsqu’on parle d’un document qui vient à échéance le lendemain et qui entraîne la perte de tous les droits sociaux de la personne. Des personnes sont souvent aux prises avec des situations d’attente prolongée qui engendrent de l’incertitude et de l’anxiété.»
Ces «urgentologues de l’immigration» accueillent, écoutent et déploient des efforts considérables pour venir en aide aux personnes de leur circonscription dans la résolution des problèmes.
Dans leurs réponses, les adjointes et les adjoints se sentent une grande responsabilité, que ce soit en début de parcours, ou encore en cas de retard, d’obstacle, de blocage, d’erreur ou d’urgence. Ils sont en première ligne pour aider. Ils estiment, à plus de 80%, que l’empathie constitue une aptitude essentielle à la qualité de leur travail. Même chose pour leurs capacités de communication interpersonnelle et d’écoute.
En général, les journées sont chargées d’émotion. «Certains vont dire qu’ils sont comme des travailleurs sociaux, indique-t-elle. Or, beaucoup ne s’attendaient pas à ça. Les plus jeunes ont souvent étudié en sciences sociales, par exemple en science politique. Ils ne se sentent pas préparés pour ce type de travail et se sentent démunis. Certains vont collaborer entre eux et se partager la tâche. Ceux qui sont mieux outillés pour la communication interpersonnelle vont s’occuper du soutien psychologique, tandis que ceux qui sont très bons comme enquêteurs vont s’occuper d’autres aspects des dossiers. En bref, ils vont développer leur expertise au fil du temps et des relations avec leurs collègues ou d’autres experts qu’ils sollicitent.»
Plus de 90% des répondants jugent que leur travail a une grande valeur. Dans une proportion de 85%, ils se disent satisfaits ou très satisfaits du travail qu’ils accomplissent. Le commentaire suivant va dans ce sens:
«Ce qui est le plus satisfaisant dans ce travail, c’est la gratitude des gens quand on résout un cas. Surtout quand on réussit à obtenir un sursis de renvoi, ou qu’on parvient à accélérer un dossier de regroupement familial.»
De véritables carrefours
Les personnes migrantes ou les membres de leur famille ne sont pas les seuls à avoir besoin de services administratifs en immigration. Des amis, des employeurs ou des intermédiaires comme les avocats, les consultants et les organismes communautaires contactent aussi les adjointes et les adjoints de circonscription.
Selon Danièle Bélanger, celles et ceux qui se consacrent à l’immigration sont nombreux à ne faire que ça à temps plein. «Ce travail demande un degré d’expertise important, souligne-t-elle. L’enquête révèle que de nombreux adjoints possèdent une expertise approfondie des rouages de l’immigration au Canada. Et ils doivent se garder à jour dans un domaine administratif et juridique complexe.»
En mars dernier, la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales a présenté un webinaire en français sur les résultats de l’étude. De nombreux bureaux de circonscription fédéraux ayant participé à la recherche ont pris part à ce séminaire de diffusion. Le contenu est présentement en traduction vers l’anglais et fera l’objet d’un webinaire le 15 juin, de midi à 13h00. De plus amples détails suivront.
Consulter le rapport (PDF)