Si le clivage des partisans du oui et du non à l'indépendance teintait le débat politique à une époque au Québec, il a été remplacé par une nouvelle préoccupation: le développement durable. Ici comme ailleurs, l'environnement divise, crée de la résistance, du scepticisme. Une équipe de recherche québéco-suisse souhaite développer un observatoire sur ces tensions qui ont un impact sur les débats, sur les décisions, mais aussi sur la vie des citoyens et des citoyennes.
«On veut collecter des données, on veut comprendre les nouveaux phénomènes qui apparaissent en lien avec cette thématique», lance Éric Montigny, professeur au Département de science politique à l'Université Laval.
Joint par visioconférence depuis la Suisse, il était en compagnie d'Oscar Mazzoleni, professeur à l'Institut d'études politiques de l'Université de Lausanne. Tous deux lançaient, le 17 mai, le Laboratoire international associé – Partis, représentations politiques et développement durable (LIA PARDUR), dont ils sont codirecteurs. S'intéressant aux enjeux associés à la démocratie et spécialistes de l'étude des partis politiques, ils travaillent ensemble depuis 2015 et se penchent aujourd'hui sur un sujet d'actualité.
Lisez les déclarations des personnes représentant les deux universités dans le communiqué officiel de l'événement.
«Que ce soit dans l'opinion publique, entre les partis politiques dans les campagnes électorales ou dans les parlements, on assiste à un basculement sur les questions environnementales. On en parle de plus en plus en raison de l'importance que cela a pris dans l'agenda des organisations internationales, qui ne demandent pas seulement des prises de position, mais des mesures concrètes pour empêcher le réchauffement climatique», expose le professeur Mazzoleni.
Comparer le Québec, la Suisse et le monde
Le nouveau LIA PARDUR va permettre de comparer ce qui se passe dans différentes juridictions et différents pays, à commencer par la Suisse et le Québec, poursuit le professeur Montigny. «Ce matin, en ouvrant le bulletin de télévision suisse, la première nouvelle était l'élargissement de la voie autoroutière entre Lausanne et Genève. Ça ressemble vraiment au débat qu'on a chez nous sur le troisième lien.» Les enjeux de mobilité durable, comme les défis énergétiques, préoccupent les citoyens de part et d'autre de l'océan, dit-il.
Doit-on construire des barrages qui ont un impact sur la biodiversité pour obtenir de l'énergie renouvelable? Quel type de voiture allons-nous conduire ces prochaines années? Quel type de chauffage aurons-nous dans nos maisons? Quelles mesures incitatives les élus décideront-ils d'adopter?, demandent les codirecteurs, en précisant que ces choix seront liés aux comportements des électeurs.
Concilier intérêts économiques et transition énergétique
«Le point fondamental, ajoute le professeur Mazzoleni, est comment concilier les intérêts économiques pas seulement des grandes entreprises, mais aussi des familles, avec les exigences de la transition énergétique. C'est l'un des éléments clés de ce clivage qu'on retrouve en Suisse, au Québec et dans d'autres pays. On essaiera de rendre compte de la façon dont les politiques vont s'approprier ces enjeux à la fois internationaux, nationaux et locaux.»
L'environnement s'immisce même dans les questions technologiques, constitutionnelles, voire culturelles, énumère le codirecteur. «Certains disent que trop d'immigration implique un problème excessif pour l'environnement.»
Les professeurs remarquent que la droite et la gauche s'approprient le thème différemment, que certains partis sont divisés à l'intérieur sur ces questions. «Il y a une reconfiguration des systèmes partisans. Parfois, il y a des partis politiques qui se retrouvent moins dans cette réalité. Il y a des transformations importantes qu'il faut étudier», estime Éric Montigny.
L'intelligence artificielle comme outil d'analyse
Comment voir si l'environnement ou l'énergie a pris de l'importance dans les débats parlementaires au cours des 10 dernières années et à quel rythme? L'équipe de chercheurs fera appel à l'intelligence artificielle pour analyser d'importants volumes de données.
«Ça nous permettra aussi éventuellement de traiter beaucoup plus de parlements dans une perspective comparée, souligne le professeur Montigny. Ce qu'on amorce aujourd'hui, c'est un cycle de recherche de cinq ans. On va commencer par la Suisse et le Québec, mais on veut créer une base de données qui est originale, qui est appelée à grandir et qui va être ouverte pour partager ces données-là.»
Dans une deuxième phase, les codirecteurs souhaitent évaluer le rôle des médias. «On sait qu'il n'y a pas un consensus sur la façon de prendre position sur les enjeux climatiques dans les éditoriaux, dans la presse. On sait qu'il y a des transformations médiatiques qu'il faut suivre», ajoute le professeur Mazzoleni.
Son collègue précise que le LIA PARDUR intègrera des étudiants au doctorat et des chercheuses et chercheurs postdoctoraux. Un grand séminaire est aussi à l'ordre du jour en novembre 2023, à Lausanne, pour entamer le travail de recherche, et réunir les équipes des deux universités et d'autres spécialistes dans le domaine.