
Détail d’une carte réalisée en 1688 par Jean-Baptiste Franquelin et conservée à la Library of Congress à Washington sous l’appellation: Carte de l'Amerique Septentrionnale: depuis le 25, jusqu'au 65⁰ deg. de latt. & environ 140, & 235 deg. de longitude/par Iean Baptiste Louis Franquelin, hydrographe du roy, à Québec en Canada.
— Library of Congress
Champlain, Franquelin, Deshayes, Cook, Bouchette père et fils, Duberger, Bayfield et Dumais: ces grands arpenteurs et cartographes dans l’histoire du Québec possédaient aussi un réel talent de dessinateur de paysages.
C’est à la découverte de plusieurs de ces artistes de paysages que convie, avec sa nouvelle carte-récit, le professeur associé du Département des sciences géomatiques de l’Université Laval, Rock Santerre. L’an dernier, il avait publié Recueil de plans d’arpentage d’Amérique du Nord française. Cette fois, son opus récemment mis en ligne s’intitule Arpenteurs et cartographes: artistes de paysages du Québec.
«L’idée de créer des cartes-récits est venue de la Bibliothèque et de collègues du département qui connaissaient mon intérêt pour l’histoire, explique-t-il. J’ai sept cartes-récits à mon actif.»
Ce document numérique contient une centaine d’images représentant une soixantaine de lieux situés aux quatre coins du territoire. L’image d’origine vient souvent avec des dessins d’autres siècles sur le même sujet, y compris des photographies d’aujourd’hui. Dans l’histoire, ces dessins de paysages accompagnaient souvent les cartes topographiques et les cartes marines. Certaines de ces images ont été colorisées et parfois rehaussées à l’aide d’applications informatiques.
«Les cartes marines étaient accompagnées de nombreux paysages, comme les pics, les sommets visibles et les phares, qui servaient de points de repère aux navigateurs, raconte le professeur. Les cartographes indiquaient la profondeur de l’eau, surtout sur les cartes marines. Au 19e siècle, Henry Wolsey Bayfield ajoutait souvent à ses cartes des dessins de paysages et de la côte pour permettre aux navigateurs de s’orienter. Aujourd’hui, les cartes marines sont complétées par des instructions nautiques illustrées par des photos des lieux.»
La carte-récit est dotée d'un outil de géolocalisation qui permet, à l'aide d'un zoom, de situer tel ou tel lieu dans sa région. Chaque fiche comprend également une image satellitaire actuelle Google Maps, ainsi qu’une image panoramique Google Street View. Un outil SIG de la société Esri, que la Bibliothèque de l’Université exploite sous licence, a permis la réalisation de la carte-récit.
La science et l’art réunis
«On retrouve environ 25 personnes dans cette carte-récit, souligne Rock Santerre. Jusqu’en 1915, il y a eu environ 800 arpenteurs-géomètres en territoire québécois, dont 75 pour la période de la Nouvelle-France. Il y en avait probablement d’autres qui étaient aussi des artistes, mais leurs œuvres ne se sont pas rendues à nous aujourd’hui.»
Dans le passé, la formation d’arpenteur-géomètre comprenait des cours de dessin technique et de cartographie pour effectuer des plans et des cartes à l’échelle, essentiellement en deux dimensions. «Le but était de pouvoir effectuer des mesures précises de distance et de superficie à partir de ceux-ci, indique-t-il. Notons que des croquis, souvent en deux dimensions, mais aussi parfois dessinés en perspective dans les carnets d’arpentage de plusieurs arpenteurs, sont dignes de mention.»
En Nouvelle-France, les arpenteurs étaient formés au Collège des Jésuites de Québec ou en effectuant une cléricature avec un mentor, ou bien ils arrivaient avec une formation acquise en France. Sous le régime anglais, les arpenteurs étaient formés en s’associant à des mentors.
«Il n’y avait pas de cours de dessin artistique dans la formation, précise le professeur. Les Franquelin, Bouchette et Dumais avaient assurément un talent naturel d’artiste.»
«Pour la période de la Nouvelle-France, dit-il, Jean-Baptiste Franquelin est considéré comme le plus talentueux et le plus artistique des cartographes. Il a dessiné une carte du fleuve Saint-Laurent vers 1685. Au 19e siècle, Joseph Bouchette et ses fils ont formé l'une des grandes familles d’arpenteurs-géomètres et de cartographes de leur temps, et ils se sont aussi démarqués par leur grand talent artistique. Plus récemment, Pascal-Horace Dumais a été très prolifique par ses nombreux dessins de paysages. Il a même produit des plans d’arpentage accompagnés de ses dessins.
Rock Santerre qualifie Dumais de précurseur des cartes-récits numériques d’aujourd’hui. «Mon coup de cœur, ajoute-t-il, est le dessin qu’il a réalisé en 1901 montrant un camp forestier près de la ville de La Tuque. On y voit le chemin de fer déjà construit, un homme conduisant un traîneau transportant des billes de bois et quelques bâtiments.»
Les principales sources des dessins de paysages répertoriés dans la carte-récit proviennent de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, de Bibliothèque et Archives Canada, de la Bibliothèque de l’Université Laval, de la Bibliothèque de l’Université McGill, du Musée McCord, du Musée des beaux-arts du Canada, d'Archives nationales d’outre-mer et de la Bibliothèque nationale de France.

Vue de la ville des Trois-Rivières en Canada, Chaussegros de Léry, 1721
— Archives nationales d’outre-mer

Îles aux Lièvres et du Pot à l'Eau-de-Vie, Joseph Bouchette, 1831
— BAnQ numérique

Terrain de la compagnie Pulp dite Belge Canadienne Kiskising, Pascal-Horace Dumais, 1901
— BAnQ numérique