La propension à la distraction qui se manifeste avec l'âge serait inévitable, mais il serait possible d'en ralentir la progression, estiment des chercheurs du Centre de recherche CERVO de l'Université Laval. Pour y arriver, il faut d'abord déterminer avec plus de précision quels mécanismes de l'attention subissent les outrages du temps et quels réseaux neuronaux sont impliqués dans ce phénomène. La postdoctorante Roxane Hoyer et le professeur Philippe Albouy, de l'École de psychologie, ont profité du 90e Congrès de l'Acfas pour présenter leurs avancées sur ces questions.
«La propension à la distraction est le résultat d'une confrontation entre l'attention volontaire, celle que l'on accorde à la tâche à accomplir, et l'attention involontaire, celle que l'on accorde malgré nous à des éléments qui nous en distraient, rappelle Roxane Hoyer. En soi, ce n'est pas forcément mauvais. Par exemple, c'est une bonne chose d'entendre résonner l'alarme de feu, même si vous êtes très concentré sur votre travail.»
Des enquêtes ont montré que la plupart des personnes âgées ne considèrent pas la propension à la distraction comme un problème grave, poursuit-elle. «Plusieurs en atténuent les effets négatifs en ayant recours à des stratégies simples pour compenser le déclin de l'attention, par exemple l'utilisation d'un minuteur pour se rappeler qu'on a mis quelque chose au four. Pour d'autres personnes toutefois, le problème est plus sérieux. Pour l'instant, il n'existe pas de solution efficace et durable pour elles.»
Les études antérieures qui ont porté sur la propension à la distraction sont arrivées à des conclusions parfois divergentes. Le regroupement des participants par tranches d'âge très larges pourrait être en cause, avance la postdoctorante. «Le résultat est qu'on ne savait pas vraiment comment les composantes de la propension à la distraction évoluaient avec l'âge.»
Pour y voir plus clair, Roxane Hoyer et l'équipe d'Aurélie Bidet-Caulet, de l'Université de Lyon, ont soumis 191 sujets âgés de 21 à 86 ans, répartis en sept groupes d'âge, à un test comportemental mesurant 5 composantes de la propension à la distraction. Leurs analyses indiquent que chaque composante a sa propre trajectoire dans le temps. Par exemple, l'impulsivité est plus faible chez les personnes âgées que chez les jeunes adultes, l'attention volontaire diminue après 30 ans et l'attention involontaire augmente à partir de 26 ans. «Le vieillissement mène progressivement les personnes à prêter une attention particulière aux informations non pertinentes», résume la postdoctorante.
Il y aurait peut-être moyen de contrer ces changements en stimulant les réseaux neuronaux impliqués dans l'attention, suggèrent des travaux que Philippe Albouy a réalisés sur une autre fonction cognitive qui décline avec l'âge, la mémoire de travail. «Grâce à une stimulation magnétique transcrânienne rythmique (SMT) appliquée sur des réseaux neuronaux impliqués dans la mémoire de travail, nous sommes parvenus à améliorer la mémoire de travail de sujets jeunes. Les effets de cette neuromodulation se manifestent lors de l'application de la SMT et pendant les jours qui suivent. Nous menons des tests pour déterminer si ces acquis se maintiennent à plus long terme et s'ils peuvent être observés chez les sujets âgés.»
Le professeur Albouy et la postdoctorante Roxane Hoyer entreprendront d'ici quelques mois une étude visant à déterminer s'il est possible de produire des améliorations de la sorte du côté de l'attention. Le projet consiste à recruter 40 sujets, autant de jeunes que de personnes âgées, à déterminer pour chacun la position anatomique exacte et l'activité fonctionnelle de réseaux neuronaux impliqués dans la propension à la distraction, et à mesurer l'effet de la SMT sur les performances des participants lors d'un test comportemental sollicitant l'attention.
Si les résultats sont concluants, les chercheurs tenteront ensuite de trouver des exercices cognitifs simples qui stimulent les mêmes réseaux neuronaux que la SMT. Dans le cas de la mémoire de travail, ces exercices consistent à visualiser des formes tridimensionnelles qui pivotent dans l'espace. «Nous espérons en arriver à développer une application qui pourrait être utilisée sur une tablette par les personnes pour qui la propension à la distraction nuit à la qualité de vie», conclut le professeur Albouy.