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«La culture scientifique peut se définir comme une compétence de littératie. Si on veut la développer, on doit semer très tôt les graines de cette compétence et la nourrir pour qu’elle se développe tout au long de la vie.»
Viviane Desbiens est chargée d’enseignement au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval. Elle poursuit des études doctorales en psychopédagogie. Le mercredi 10 mai, elle a présenté, à l’Université de Montréal, des résultats de recherche dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas. Son exposé s’intitulait «Quelles pratiques prometteuses pour une activité de culture scientifique efficace auprès des jeunes?»
Selon elle, la littératie scientifique est importante pour la société puisque des citoyens «lettrés scientifiquement» peuvent prendre des décisions plus éclairées dans leurs choix de vie. Ils peuvent participer aux débats sociaux de façon mieux informée et mettre en perspective les éléments issus de la science avec des éléments issus d’autres sphères, comme l’éthique, la santé et l’environnement.
«Au contraire, ajoute-t-elle, les personnes qui manquent de littératie scientifique sont celles qui, par exemple, peuvent prendre des décisions qui ne sont pas informées des faits scientifiques, mais plutôt basés sur des croyances, ou encore rejeter les sciences parce qu’elles ne comprennent pas comment les connaissances sont construites ainsi que leur nature évolutive. Ceci est arrivé pendant la pandémie de COVID-19. Passer rapidement de devoir laver son épicerie comme étant une bonne mesure préventive à porter le masque dans les espaces publics en a fait sourciller plus d’un.»
Une synthèse de plus de 50 articles scientifiques
Pour sa présentation, la chercheuse s’est basée sur une revue de littérature couvrant plus de 50 articles scientifiques. Ces articles portent sur le soutien de la motivation et de la réussite en sciences chez des élèves du primaire et du secondaire de différents pays. «Les éléments d’actualité scientifique, comme les inondations causées par le dérèglement du climat ou le déploiement du télescope James Webb à 1,5 million de kilomètres de la Terre, sont toujours d’excellentes portes d’entrée pour les activités de culture scientifique pour les jeunes, explique Viviane Desbiens. Elles permettent de mettre en lumière la pertinence de l’activité et d’illustrer l’omniprésence des sciences dans notre vie.»
Comme les éléments d’actualité, les activités scientifiques enseignées aux jeunes ne manquent pas. «Il y en a tellement! dit-elle. Mentionnons la fabrication d’une pile au citron pour alimenter un petit cadran, ce qui permet d’initier les élèves au mouvement des électrons en électricité. Ou bien la conception de poumons et cœurs artificiels pour comprendre le fonctionnement du corps humain. Ou encore la découverte des phénomènes météorologiques et la fabrication d’un hygromètre.»
L’ajout de bicarbonate de sodium à du vinaigre figure parmi les expériences classiques en éducation scientifique à l’école primaire. Dans la réaction chimique qui s’ensuit, des bulles apparaissent. «Cette expérience rend les enfants super excités, poursuit-elle. J’ai une fille de huit ans. Depuis ses six ans, cette expérience est parmi ses préférées. Elle essaie de pousser son expérimentation plus loin en mélangeant toutes sortes d’autres choses.»
Cette expérience met en scène les acides, comme le citron et l’orange, et les bases comme les légumes verts et le lait. «En classe, indique-t-elle, l’enseignant fait de petites démonstrations pour introduire la notion de réaction chimique suite au mélange d’un acide et d’une base.»
Les jeunes et le vocabulaire scientifique
On le sait, le vocabulaire précis, dans le domaine scientifique, est d’une importance capitale. Or, selon la doctorante, bien souvent les enseignants font l’erreur de remplacer le mot scientifique par un terme plus général parce que moins compliqué. «En fait, dit-elle, les enfants apprennent de nouveaux mots chaque semaine. Ils sont habitués. On peut donc leur présenter le mot scientifique tout en leur expliquant le sens.»
Deux exemples sont les mots «masse» et «densité». Dans le langage courant, on utilise plutôt le mot «poids» pour référer à la masse, et les mots «léger» et «lourd» pour référer à la densité. «En sciences, souligne-t-elle, on amène les jeunes à utiliser le terme “masse” lorsqu’ils pèsent un objet sur une balance pour calculer sa masse volumique. Et parler de densité est beaucoup plus éclairant pour amener les élèves à comprendre la flottabilité et le concept de masse volumique.»
Un biais présent dès le primaire
Selon elle, il existerait un biais de genre inconscient dès le primaire dans les activités scientifiques proposées. «Les filles, soutient-elle, vont avoir tendance à s’intéresser à des sujets qui touchent à l’humain, aux animaux, aux sciences de la vie. En général, quand on tombe sur des sujets reliés davantage aux sciences physiques ou à la chimie, ils vont moins les intéresser. Si on reste dans une approche plus traditionnelle des sciences, souvent on va rejoindre moins de filles. Or, la revue de littérature montre qu’on peut, dans certains cas, aller chercher autant de filles que de garçons. Une étude, menée en première année du primaire, portait sur une activité axée sur l’ingénierie. En général, ce n’est pas le thème préféré des filles. Dans la présentation, les personnes animatrices ont vraiment insisté sur le fait que les ingénieurs aident les gens dans leur quotidien. Elles ont aussi présenté des modèles de femmes ingénieures. À la fin, les filles étaient aussi intéressées par l’ingénierie que les garçons.»
Viviane Desbiens estime qu’une personne animatrice efficace pour les filles doit avoir des comportements de soutien capable de guider l’élève dans les tâches difficiles, entrer en relation et démontrer de l’enthousiasme, car les émotions positives se transmettent. Elle doit aussi encourager la discussion, questionner l’élève et répondre à ses questions. «L’animatrice efficace, souligne-t-elle, va permettre d’outrepasser les blocages que certaines peuvent avoir pour certains sujets ou tâches de science. Quand on les interroge, elles se sentent tout autant efficaces que les garçons. Mais elles vont globalement se percevoir moins bonnes en science. Elles ont un concept de soi plus faible.»
Quelques recommandations
Au Congrès, la présentation de la chercheuse a pris fin sur quelques recommandations. D’abord, contrer le biais de genre potentiel envers les filles. Ensuite, bonifier la collaboration avec les écoles. Enfin, favoriser les pratiques les plus prometteuses. La doctorante suggère de diversifier le profil des personnes qui conçoivent les activités et de communiquer aux enseignants les bienfaits des activités. Elle recommande aussi de s’assurer de la pertinence des notions enseignées avec le quotidien des jeunes et de miser sur l’aspect social des sciences.
«Sans une personne animatrice efficace, affirme-t-elle, on n’aura pas les effets escomptés sur la motivation. Une telle personne va donner des rétroactions et des encouragements pendant que les élèves font les tâches scientifiques demandées. Elle va surtout les guider dans les tâches qui sont plus difficiles. Elle va avoir des attentes de réussite élevées envers les jeunes et va faire en sorte que les enfants ne se comparent pas entre eux. Si elle arrive à entrer en relation et être enthousiaste, elle aura encore plus d’effet sur les jeunes. Elle doit aussi encourager la discussion et le questionnement.»