Le 8 mars 2023, le député libéral de la circonscription fédérale de Notre-Dame-de-Grâce – Westmount, Marc Garneau, a pris la parole, dans la Chambre des communes, pour annoncer son départ de la vie politique. «C’est le moment de partir, a-t-il déclaré. J’ai escaladé toutes mes montagnes. Je veux maintenant passer plus de temps avec ma famille.»
Âgé de 74 ans, le parlementaire démissionnaire aura consacré les 15 dernières années à la vie politique. Cet ancien officier de marine devenu astronaute, puis administrateur, a fait le saut en politique en 2008.
Selon Anthony Weber, doctorant en science politique à l’Université Laval, ceux et celles qui quittent la vie politique en cours de mandat sont nombreux, tout comme les raisons justifiant leur décision.
«Lorsque mes collègues et moi avons commencé à nous poser la question, “Pourquoi, dans le système parlementaire, autant de députés quittent-ils avant la fin de leur mandat?”, nous avons trouvé plusieurs facteurs, explique-t-il. Parmi eux, l’insatisfaction au travail, la vulnérabilité électorale, l’ambition personnelle et la structure des oppositions au Parlement, et le contexte économique.»
Plus de 3600 députés dans trois pays
Anthony Weber est le premier auteur d’un article qui vient de paraître dans la revue Party Politics sur ces députées et députés qui se retirent de la vie politique avant une élection générale. Pour cela, une équipe de chercheurs de l’Université Laval et de l’Université de Montréal a passé au crible le profil de plus de 3600 députées et députés ayant siégé dans les assemblées législatives de trois systèmes parlementaires d’inspiration britannique. Ces parlements sont canadien, australien et néo-zélandais. La période couverte débute en 1945 et prend fin en 1993 pour la Nouvelle-Zélande, et en 2019 pour les deux autres pays.
L’analyse statistique des données révèle, entre autres choses, que 89,5% des députées et députés australiens ont décidé de se représenter aux élections à la fin du mandat qu’ils remplissaient, comparativement à 88,8% en Nouvelle-Zélande et 83,7% au Canada. Durant la période étudiée, les femmes constituaient 10,3% de la députation canadienne, l’âge moyen des parlementaires des trois pays variait entre 52 et 53 ans, et le Parti libéral a été représenté par 43% des députées et députés à la Chambre des communes à Ottawa.
Selon le doctorant, la recherche a pu confirmer un argument soulevé par une étude montrant que les députés qui sont davantage libéraux progressistes ont moins tendance à se retirer de la vie politique que les conservateurs. «Des politologues, poursuit-il, expliquent cela par le fait que les conservateurs ne sont pas vraiment motivés à changer les politiques publiques, à avoir un impact décisif sur elles. Cela les amènerait à se lasser plus rapidement de la politique, donc d’avoir d’autres ambitions au final.»
En ce qui concerne l’insatisfaction au travail, l’étude a permis de constater que les parlementaires sont des personnes comme les autres, qui peuvent être soumises à une grande charge de travail. «Elles et ils ont de la difficulté à concilier vie professionnelle avec vie de famille, indique Anthony Weber. Sans compter les pressions du public et de la part des médias d’information. Parfois même de la maladie.»
Selon lui, la vie politique peut être source de désillusion pour de jeunes députés. «Ils ont plein d’espoirs en entrant au Parlement, dit-il. Ils peuvent être déçus. Parfois un monde s’écroule devant eux.»
Le doctorant insiste sur le préjugé qu’ont bien des citoyens, qui pensent que les députés disposent d’une marge de manœuvre très large. «On croit qu’ils peuvent s’investir dans tous les domaines, qu’ils ont parfois un pouvoir coercitif, souligne-t-il. La réalité est tout autre, surtout dans les systèmes majoritaires, comme au Québec, où il y a peu de place pour que les députés de l’opposition fasse valoir leurs points de vue. Dans l’opposition comme au pouvoir, les jeunes députées et députés sont comme mis de côté dans les dynamiques intracaucus, d’où un sentiment d’inutilité.»
Une thèse sur le contrôle parlementaire des finances publiques
La soutenance de la thèse d’Anthony Weber est prévue cet été. Sa recherche porte sur le contrôle parlementaire des finances publiques dans une perspective comparée entre l’Assemblée nationale du Québec, l’Assemblée nationale de la France et la Chambre des députés du Luxembourg.
Dans sa recherche doctorale, il dresse une typologie des rôles parlementaires.
«Dans le contrôle des finances publiques, explique-t-il, des députés très chevronnés sont là depuis quatre ou cinq mandats. Ils ont une formation pré-parlementaire dans la comptabilité. Ils ont en plus l’habitude des processus législatifs. Ils ont aussi une connaissance aiguë des textes de loi. Au sein du parti, ces personnes sont considérées comme des références. Elles sont les principales porte-parole. Ce sont elles qu’on va écouter. Il est difficile, pour un jeune député, même s’il a une formation et une compétence préparlementaire dans le domaine, d’exister. Sa parole ne sera pas priorisée. Il devra s’armer de patience.»
Le sentiment d’avoir fait le tour du jardin
La plus forte similitude observée entre les députés canadiens, australiens et néo-zélandais est le sentiment d’avoir fait le tour du jardin. «Les gens, affirme le doctorant, ont le sentiment que leur temps est révolu et ils ont envie de passer à autre chose. Les femmes plus que les hommes ont tendance à se retirer de la vie politique. Des études montrent qu’il est difficile pour elles d’entrer en politique et qu’il est facile d’en sortir. Dans notre recherche, nous avons constaté que celles et ceux qui sont bien établis avec deux ou trois mandats ont davantage de chances de se faire réélire, comparé aux jeunes qui arrivent et qui ont moins d’expérience et moins de ressources. On observe davantage de retraits chez ces députés-là.»
Selon lui, l’objet de cet article n’a pas vraiment été de dresser une évolution historique des pratiques politiques depuis 1945. «Nous suggérons, dit-il, – étant donné la stabilité, depuis cette date, des systèmes politiques canadien, australien et néo-zélandais, de la stabilité également de l’organisation du travail politique entre partis depuis cette époque, par des règles d’encadrement similaires, et avec l’immuable problème de la conciliation travail-famille du genre humain –, qu'on peut considérer qu’il n’y a pas eu beaucoup d’évolution dans la nature des facteurs explicatifs du retrait des parlementaires de la vie politique.»
La conclusion des chercheurs est que la décision de quitter la vie politique est surtout due à des considérations très personnelles. «Ces citoyens, soutient Anthony Weber, sont élus pour être au service de la société. Mais il ne faut pas oublier que ce sont aussi des êtres humains avec des aspirations personnelles, des ambitions qui peuvent être en conflit avec leur volonté politique. Si certains tiennent mordicus à faire carrière comme parlementaires, d’autres peuvent, à un moment donné, concevoir d'avoir fait le tour de la vie politique et ne pas pouvoir aller plus loin, et vouloir faire de la politique autrement, par exemple comme directeur d’une organisation non gouvernementale.»
Les autres auteurs de l’étude parue dans Party Politics sont Marc-André Bodet, professeur au Département de science politique de l’Université Laval, François Gélineau, qui depuis 2022 est vice-recteur aux affaires internationales et au développement durable de l’Université Laval, responsable de l’EDI et de la philanthropie, ainsi qu’André Blais, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal.