Marier sciences sociales et bande dessinée, c'est le pari relevé par un lot grandissant d'artistes et de chercheurs. Que ce soit pour communiquer des travaux de recherche, piquer la curiosité des lecteurs ou s'assurer que leur récit repose sur des données fiables, leurs raisons sont aussi multiples que diversifiées.
«Depuis quelques années, on observe un mouvement de collaborations de plus en plus nombreuses entre le milieu de la BD et les sciences sociales. Même si elles se sont récemment multipliées, ces initiatives sont encore parcellaires ou, du moins, leurs usages académiques sont peu discutés», constate Maïa Neff, doctorante en sociologie.
Avec des collègues de l'Université Laval, de l'Université de Montréal et de l'École des hautes études en sciences sociales, cette étudiante organise le colloque Quand BD et sciences sociales s'emmêlent. Cet événement, gratuit et ouvert à tous, réunira des professionnels des milieux de la bande dessinée, de la recherche et de l'édition.
Au programme, des conférences et tables rondes sur des sujets comme les défis de la collaboration, la vulgarisation scientifique et les stratégies d'édition et de diffusion. «Notre objectif est de stimuler la collaboration et de contribuer à la formation des étudiants, des chercheurs et des artistes aux différentes formes possibles de collaboration», indique Maïa Neff.
Lors du colloque, il y aura diffusion des premiers résultats d'un atelier de cocréation qui a été mené en amont de l'événement avec huit artistes et huit étudiants-chercheurs. Divisés en duos, les participant devaient transposer des travaux de recherche en planches de BD.
De l'archéologie à la science politique, en passant par le travail social et l'anthropologie, plusieurs disciplines ont été explorées. «Chaque bédéiste, jumelé à un binôme issu du milieu de la recherche, devait réaliser quatre planches, explique Francis Desharnais, qui s'est prêté au jeu avec enthousiasme. Quatre pages, c'est bien peu pour témoigner d'une recherche. En tant que bédéiste, notre force est de synthétiser plusieurs idées qui peuvent sembler abstraites. Les chercheurs ont apprécié cet aspect du projet qui leur a fait voir leur propre travail sous un autre jour.»
Quand les bédéistes font de la recherche
Francis Desharnais est un nom bien connu dans le milieu de la bande dessinée et de l'animation. Il a publié notamment La petite Russie, qui porte sur l'histoire de la colonisation de l'Abitibi, et plus récemment Claude Gauvreau: l'art vraiment bizarre expliqué aux enfants. Dans cet ouvrage jeunesse, il offre une incursion ludique dans l'univers du célèbre poète, dramaturge et polémiste. «Le livre n'est pas forcément biographique, même si j'y aborde certains points marquants du parcours de Gauvreau comme la signature du Refus global, le langage exploréen et sa pièce La charge de l'orignal épormyable. Le but était de comprendre sa démarche artistique et comment il en est venu à créer son propre langage. Les recherches pour les besoins du livre n'ont pas été aussi exhaustives que pour La petite Russie, qui a demandé de fouiller énormément dans les archives», explique-t-il.
Pour lui, la BD permet d'explorer de nouvelles avenues en matière d'approche documentaire. «Cette façon de faire de la bande dessinée peut être porteuse pour intéresser les gens à la science. Cela permet aussi de synthétiser des recherches qui peuvent paraître compliquées.»
Son propos fait écho à Christian Quesnel, lui aussi artiste invité au colloque: «La force de ce médium est de pouvoir narrer en images des sujets difficiles ou expliquer des concepts complexes. Par exemple, la bande dessinée permet d'évoquer les choses sans les montrer en faisant appel à la capacité du lecteur à combler les ellipses.»
Christian Quesnel est l'illustrateur de Mégantic, un train dans la nuit, qui porte sur la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic en 2013. Pour réaliser cette BD qui rend hommage aux victimes et dénonce la cupidité et le manque de sensibilité des décideurs, il a entrepris un long travail de recherche.
On lui doit aussi Félix Leclerc: l'alouette en liberté, un album consacré à la légende de la chanson québécoise. Dans ce livre, Christian Quesnel revient sur des moments phares de la vie de Leclerc. Les illustrations, magnifiques, ont servi de base pour un concert multimédia.
À travers ses mille et un projets, Christian Quesnel s'est aussi intéressé à d'autres personnages historiques comme Ludwig van Beethoven, Howard Philipps Lovecraft, Émile Nelligan et René Lévesque.
«Il y a certainement un aspect de recherche documentaire dans mon travail que je partage avec les sciences sociales. Là où je vois clairement des liens entre celles-ci et mon travail, ce sont mes projets de recherche-création à la maîtrise et actuellement au doctorat. J'y applique systématiquement une méthodologie et des analyses qui débordent largement mes projets universitaires pour se refléter dans mes albums», dit celui qui effectue ses études à l'École multidisciplinaire de l'image de l'Université du Québec en Outaouais. «Non seulement la bande dessinée peut contribuer à déployer la connaissance, ajoute-t-il, mais la recherche en sciences sociales vient enrichir mon médium en y ajoutant de la méthode, de la rigueur et de l'autoréflexion.»
Outre Christian Quesnel et Francis Desharnais, de nombreux auteurs et illustrateurs participeront au colloque, dont Lisa Mandel, Ariane Dénommée, Martin Patenaude-Monette et Stéphane Lemardelé. L'événement est organisé par Capucine Coustere, Romain Paumier, Maïa Neff et Pierre Nocérino avec la collaboration de Danièle Bélanger, professeure au Département de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales et divers partenaires. Il reçoit du soutien du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
L'inscription est gratuite.