
Jesus Teaches the People by the Sea, Jacques-Joseph Tissot, toile
réalisée entre 1886 et 1896 faisant partie de la série La vie de Notre Seigneur Jésus-Christ.
— Brooklyn Museum
Jésus de Nazareth a-t-il historiquement existé? A-t-il transformé l’eau en vin à Cana? Était-il féministe?
Ce sont là quelques-uns des 17 thèmes abordés par 8 biblistes réunis pour le projet de livre Questions controversées sur Jésus.Cet ouvrage collectif de plus de 200 pages vient de paraître chez Novalis. Il est écrit dans une langue accessible et se veut un espace de dialogue ouvert, franc, intelligent et divertissant au sujet d’un des personnages les plus influents de l’histoire humaine. Pour rappel, le christianisme rassemblait plus de 2,6 milliards de croyants en 2020.
«Nous, les auteurs, nous nous sommes permis de poser des questions qui mènent à des endroits où l’on ne va pas habituellement lorsqu’on parle de la vie de Jésus et d'y répondre», explique Sébastien Doane, professeur en études bibliques à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (FTSR) et directeur du projet. «Les questions, poursuit-il, sont venues de groupes de discussion avec des universitaires et des non-spécialistes de la Bible. Ce livre veut sortir de la tour universitaire. Nous voulions qu’il soit audible par des lecteurs qui veulent réfléchir sur Jésus de façon claire et intelligente. On pourrait dire qu’il s’agit d’un ouvrage de haute vulgarisation.»
Savait-il lire et écrire?
Les auteurs sont tous des professionnels et la plupart ont un lien avec la FTSR. C’est notamment le cas de Guylain Prince, un prêtre franciscain qui poursuit des études doctorales sur le Jésus historique. Il signe deux chapitres dont celui intitulé «Jésus savait-il écrire? Que sait-on de son éducation?».
D’entrée de jeu, l’auteur rappelle que l’enfance et la vie adulte de Jésus, avant les récits de sa vie publique, ont depuis presque toujours suscité l’intérêt, en particulier sa préparation à son court ministère. Dans la Palestine du temps, l’éducation était associée à un métier et à une famille. Il y avait des familles de scribes, d’artisans du bois, d’agriculteurs, de commerçants. Dans le cas de Jésus, c’était celle d’artisan du bois. «S’il avait grandi dans une famille de scribes ou de docteurs de la Loi, écrit Guylain Prince, son mode de raisonnement serait celui d’un savant qui cite d’abord les textes avec précision, pour ensuite produire un argumentaire bien structuré. Or, Jésus évoque les traditions bibliques plus qu’il ne les cite; et très rarement commence-t-il une discussion sur la base des Écritures.»
Le professeur Doane souligne qu’il n’existait pas d’institution pour apprendre à lire et à écrire aux enfants il y a 2000 ans. «De toute façon, poursuit-il, à quoi pouvait servir la lecture et l’écriture à Nazareth au premier siècle de notre ère? La société fonctionnait avec des éléments basés sur l’écriture, mais pas dans la vie de tous les jours. Surtout quand on vit dans une société agraire où on pouvait très bien être intelligent sans avoir cette connaissance.»
Selon lui, ce fils de charpentier était manifestement intelligent et visiblement au courant des traditions de son peuple. Ses capacités intellectuelles étaient telles qu’elles lui permettaient de s’exprimer en paraboles. Cette tournure d’esprit demande une réflexion pour présenter de petites scènes courtes qui ont un effet certain. «On le voit, dans les évangiles, alors que l’auditoire est toujours suspendu à ses lèvres, raconte le professeur. On peut supposer que le Jésus historique avait une prise de parole très forte à une époque où les traditions se transmettaient de façon orale.»
Était-il marié?
Sébastien Doane signe trois chapitres du livre Questions controversées sur Jésus. Dans l’un d’eux, il écrit que les textes anciens ne donnent aucun indice pouvant laisser croire que Jésus aurait été marié ou aurait connu une forme de relation amoureuse. Dans le même sens, la sexualité occupe peu de place dans son discours.
«Et pourtant, dit-il, on ne peut pas ne pas aborder cette dimension quand il s’agit de Jésus. Était-il marié? Avait-il une compagne?»
Selon le professeur, l’histoire a toujours imaginé un Jésus chaste, vierge. «Or, ajoute-t-il, on a du mal à l’imaginer sans vie sexuelle ou amoureuse. Pourtant, les évangiles parlent d’un à trois ans de vie publique manifestement sans femme.»
Dans le livre, il écrit qu’aucun texte de l’Ancien Testament ne valorise le célibat ou la chasteté pour un homme. Les hommes de la Bible se marient et ont des relations sexuelles. Parmi les centaines de personnages masculins de la Bible, il n’y a que de très rares hommes chastes et célibataires. «Bref, poursuit-il, la tradition juive dans laquelle se situe Jésus n’est pas un terreau fertile à la continence sexuelle.»
Cela dit, si Jésus ne parle que très peu de sexualité, il parle beaucoup d’amour. «Aimez-vous les uns les autres» est une maxime pouvant inspirer plusieurs sphères de la vie, dont les relations amoureuses ou sexuelles.
«L’amour, le respect, la compassion sont des valeurs centrales dans l’agir de Jésus, écrit Sébastien Doane. Cet amour se manifeste en particulier dans son accueil des femmes marginalisées. Les évangiles racontent des gestes forts qui choquent les autres personnages du récit.»
Dans un épisode, une femme anonyme ne cesse de couvrir les pieds de Jésus de ses baisers; elle lui baigne les pieds avec un mélange de larmes et de parfum répandus avec ses cheveux. Cette scène choque le pharisien chez qui cela se déroule. Jésus aurait dû être déshonoré par ce contact avec une «pécheresse». C’est pourtant le contraire qui se passe. Jésus déclare que cette femme est pardonnée parce qu’elle a beaucoup aimé et que sa foi l’a sauvée.