31 mars 2023
Protéger l’Alaska, le Canada et les États-Unis continentaux
Selon le lieutenant-général Alain Pelletier, le NORAD est probablement entré dans la période la plus difficile de son histoire avec des adversaires stratégiques comme la Russie, la Chine et la Corée du Nord

Le site BAF-3
du Système d’alerte du Nord est
situé sur l’île Brevoort, au Nunavut. Il fait partie d’une
série de stations radars dans l’Arctique. Le système forme une ligne longue de
4800 kilomètres à partir de l’Alaska en passant par le Canada jusqu’au
Groenland. Son rôle consiste à surveiller l’espace
aérien contre les intrusions potentielles ainsi que les attaques dans la région
polaire de l’Amérique du Nord. Le site BAF-3 été construit en 1988.
— Lianne Girard
Le 24 mars dernier, le président américain Joe Biden était en visite officielle à Ottawa. Au terme de la rencontre, la déclaration conjointe faisait mention de deux importantes décisions liées à l’ambitieux projet de modernisation, dans l’Arctique, du système d’alerte du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). La première annonce concernait un investissement de près de 7 milliards de dollars canadiens pour l’acquisition et l’installation de deux systèmes de radars dits «au-delà de l’horizon». La seconde annonce portait sur des investissements de plus de 7 milliards de dollars canadiens pour l’aménagement des infrastructures nordiques nécessaires aux avions de combat F-35 récemment acquis par le gouvernement canadien.
Le jour précédent, à l’amphithéâtre Hydro-Québec du pavillon Alphonse-Desjardins, se tenait la 14e rencontre Université-Défense. Ce colloque a attiré 138 participants sur place et 89 en ligne. Il était organisé notamment par l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval et l’Institut militaire de Québec. Ces rendez-vous annuels sont une occasion unique pour les chercheurs et les militaires de se rencontrer sur un thème lié à la sécurité internationale. Celui de cette année était «Conséquences et répercussions des tensions et guerres contemporaines sur les institutions internationales».
Parmi les experts invités se trouvait le lieutenant-général Alain Pelletier, commandant adjoint canadien du NORAD. Cet ancien pilote de chasse s’est adressé aux participants par visioconférence depuis les installations du NORAD à Colorado Springs aux États-Unis.
«En 65 ans d’existence, le NORAD vit peut-être sa période la plus dynamique et la plus difficile sur le plan stratégique, a-t-il expliqué. On a deux adversaires stratégiques dotés de l’arme nucléaire, la Russie et la Chine. Un troisième adversaire, la Corée du Nord, continue à développer ses capacités nucléaires qui, croyons-nous, ciblent l’Amérique du Nord.»
Le NORAD subit par ailleurs des attaques quotidiennes cybernétiques et informationnelles qui représentent une menace à l’infrastructure critique du continent. Ces attaques proviennent de tous les horizons à partir d’une myriade de sources autant symétriques qu’asymétriques.
«Le NORAD a dû évoluer et doit continuer à le faire avec ses nombreux partenaires, a-t-il poursuivi. Ici, au quartier général, on compte plus de 100 officiers de liaison provenant de plus de 25 organismes, agences, départements.»
Un sentiment d’urgence
Selon le lieutenant-général, les gouvernements canadien et américain ont intérêt à établir une présence militaire persistante dans l’Arctique, s’appuyant sur des forces entraînées et équipées, afin de faire face à l’intensification des activités des Russes et des Chinois dans cette région. «L’évolution de la situation, a-t-il affirmé, devrait susciter un sentiment d’urgence tant au NORAD qu’au sein des gouvernements concernés.»
Au mois de juin 2022, le premier ministre canadien a effectué une visite aux installations du NORAD aux États-Unis. Une première en 40 ans. Quelques semaines plus tard, le gouvernement canadien annonçait un plan de modernisation du système d’alerte du NORAD de 36,8 milliards de dollars canadiens échelonné sur 20 ans.
«Les systèmes de radars dits “au-delà de l’horizon” permettront une meilleure détection des missiles de croisière, mais aussi des petits systèmes sans pilote et des missiles hypersoniques, depuis le cercle polaire et les océans Atlantique et Pacifique», a souligné Alain Pelletier.
Selon ce dernier, la force du NORAD, depuis sa création en 1958, a résidé dans sa capacité à évoluer en réponse aux menaces mondiales changeantes. «Nous ne voulons pas être obligés d’abattre un missile de croisière au-dessus d’Ottawa ou Washington, car il serait trop tard, a-t-il évoqué. Il faut s’y engager avant le lancement. Je ne parle pas d’actions préventives, mais d’activités en amont qui recourent à tous les leviers d’influence dont disposent nos gouvernements et qui vont permettre à nos adversaires de peut-être repenser leurs stratégies et annuler les actions qu’ils envisageaient.»
Quant au conflit en Ukraine, il démontre que les adversaires stratégiques du NORAD n’agissent pas toujours de manière responsable. «C’est pourquoi on ne peut se permettre d’accepter le statu quo, a-t-il ajouté. Nos compétiteurs évoluent rapidement et on se doit de faire de même. Il ne faut rien tenir pour acquis.»
En conclusion, le lieutenant-général a rappelé qu’au sein du NORAD, le Canada et les États-Unis travaillent en fonction d’un ordre mondial qui soit pacifique, stable et prospère «où on peut se permettre de résoudre des différends sans recourir à la force ou à la coercition».

Le président américain Joe Biden et le premier ministre canadien Justin Trudeau échangeant une vigoureuse poignée de mains le 24 mars dernier à Ottawa en marge de la première visite officielle du chef d’État américain au Canada.
— Cabinet du premier ministre