Comment la douleur, combinée à une émotion négative comme la tristesse ou la colère, se traduit dans les expressions faciales d'une personne? Cette question pas aussi simple qu'il n'y paraît est au cœur de la thèse de Marie-Hélène Tessier. Pour y répondre, cette doctorante en psychologie a fait appel à un étudiant à la maîtrise en intelligence artificielle, Jean-Philippe Mazet.
Le 29 mars, le duo était à la Semaine numériQC, un événement phare chez les professionnels du numérique, pour présenter les fruits de cette collaboration. Leur recherche a remporté le premier prix du Concours de la relève en IA et données. Cette compétition était organisée dans le cadre d'une journée de conférences sur des projets de recherche étudiants.
«Je m'intéresse, dans le cadre de ma thèse, aux façons de communiquer la douleur, mais aussi aux émotions qui peuvent venir changer notre manière d'exprimer la douleur, que ce soit la peur, la colère ou le dégoût», a expliqué Marie-Hélène Tessier à ULaval nouvelles en marge de l'événement.
Si ses recherches portent sur les signes non verbaux, c'est parce que la communication entourant la douleur est un enjeu réel dans le milieu de la santé. «Un patient qui a mal est habitué d'attribuer une note de 0 à 10 à sa douleur. Chez certaines populations, comme de très jeunes enfants ou des aînés qui souffrent de démence, ce n'est pas possible. Les cliniciens utilisent alors des échelles qui permettent d'évaluer la douleur de façon non verbale. Des outils existent, mais ils sont limités pour bien évaluer la douleur.»
C'est là que l'Intelligence artificielle (IA) entre en jeu. Avec l'apprentissage machine (machine learning), une technologie permettant aux systèmes d'apprendre et d'améliorer leurs performances en fonction de données qu'ils traitent, Jean-Philippe Mazet a créé un modèle informatique pour distinguer les différentes expressions faciales de la douleur.
«L'intelligence artificielle nous permet de trouver une fonction qui fait le lien entre des données – dans ce cas, le visage des gens – et un résultat, soit les émotions associées à la douleur. Pour guider l'IA dans cette recherche, on lui soumet des exemples jusqu'à ce qu'elle devienne bonne à accomplir sa tâche», simplifie l'étudiant.
Ce modèle informatique a été testé au CIRRIS, le Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale. Pour les besoins de l'étude, 28 volontaires étaient invités à lire des mises en situation fictives, puis à contrôler le visage de personnages virtuels pour créer des expressions faciales liées à ces situations. Devant une caméra, les participants devaient aussi reproduire sur leur propre visage ces mêmes expressions.
En comparant les résultats de l'application, Marie-Hélène Tessier titre plusieurs constats. Entre autres: «Quand il y a de la peur et de la tristesse, ces émotions diminuent les mouvements faciaux associés à la douleur. Pour ce qui est de la colère ou du dégoût, il n'y a pas tant de différences. Cela démontre que certains contextes affectifs peuvent venir diminuer ou augmenter la douleur.»
«Aussi, il y avait souvent un écart entre ce qui se passait sur le visage du participant et celui de l'agent virtuel, ajoute Marie-Hélène Tessier. Les gens exprimaient la douleur sur leur visage, mais ces expressions étaient amplifiées sur l'agent virtuel. On note une discordance entre les façons dont ils expriment et dont ils perçoivent les états combinés de douleur et d'émotions.»
Ce projet de recherche, espère la doctorante, pourrait donner lieu à plusieurs retombées concrètes. «Pour mesurer la douleur chez les enfants, les cliniciens utilisent des échelles d'évaluation avec des visages de bonhommes numérotés, 0 étant associé à aucune douleur et 10 à la pire douleur. Ils pourraient utiliser, par exemple, l'application d'agents virtuels pour représenter de façon plus dynamique et réaliste ce que le patient veut exprimer.»
Une collaboration interdisciplinaire fructueuse
Marie-Hélène Tessier et Jean-Philippe Mazet se sont connus par l'entremise d'un cours donné par Christian Gagné, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique et directeur de l'Institut intelligence et données.
D'entrée de jeu, Jean-Philippe Mazet a été charmé par le projet de sa collègue. «Ce genre de collaboration interdisciplinaire avec le machine learning et la science des données, ce n'est pas fréquent. C'est un peu original», souligne l'étudiant, pour qui le projet a fait changer sa conception de la recherche. «Avant, j'étais porté à opposer sciences sociales et sciences dites “dures”. Je me suis rendu compte à quel point la psychologie et les neurosciences sont basées sur des critères objectifs et rigoureux avec la même qualité de données que l'on retrouve dans d'autres domaines.»
Marie-Hélène Tessier partage son enthousiasme. «De mon côté, j'ai réalisé que le machine learning est plus accessible que l'on croit. Chacun s'est mis en “mode vulgarisation” pour finalement se rendre compte qu'il y a davantage de ressemblances que de différences dans nos domaines respectifs.»
Ce projet de recherche est encadré par le professeur Philip Jackson, de l'École de psychologie.