22 mars 2023
Louis Riel: un homme transformé en mythe
Selon William Pedneault-Pouliot, le politicien qui a défendu la cause des Métis de l’Ouest au 19e siècle face à l’impérialisme expansionniste canadien a été récupéré, au 20e siècle, comme le précurseur des valeurs canadiennes d’aujourd’hui
«Des gens de bonne volonté ont voulu réhabiliter Louis Riel comme l’un des pères fondateurs du Canada moderne mais, tel que souligné par des auteurs métis, Riel n’envisageait pas le concept de la nation métisse au sein de la Confédération canadienne naissante», explique le titulaire d’un baccalauréat en histoire et finissant du certificat en histoire de l’art à l’Université Laval, William Pedneault-Pouliot.
Homme politique du 19e siècle, chef du peuple métis des Prairies canadiennes, un peuple d’origine autochtone et européenne, Riel a joué un rôle clé dans la fondation de la province du Manitoba. Il a également été un acteur central de deux rébellions.
«Pour le métis Riel, poursuit-il, la Confédération représentait, au mieux, un moindre mal, au pire, l’ennemi juré de toute revendication métisse. En le réhabilitant comme figure fondatrice du pays actuel, comme visionnaire d’un Canada à venir, on l’efface comme figure porteuse d’un projet de société national pour la communauté métisse. On oublie les tensions qui ont opposé le gouvernement d’Ottawa à une colonie autodirigée des Prairies, qui avait ses institutions, sa langue (le français), sa religion (le catholicisme). Ce peuple a été submergé par l’arrivée massive de colons britanniques. Cette vague assimilatrice allait diminuer le poids politique des Métis à long terme.»
Le jeudi 23 février au pavillon La Laurentienne, William Pedneault-Pouliot a présenté les résultats d’une recherche menée en 2021 dans le cadre du séminaire Mythistoires du Québec français donné par le professeur associé Jocelyn Létourneau. Son exposé a eu lieu dans le cadre du 23e Colloque étudiant Artefact du Département des sciences historiques de l’Université Laval. Sa présentation s’intitulait: Entre l’homme et le symbole: les perceptions multiples et changeantes de la figure de Louis Riel.
Selon lui, une historiographie s’est bâtie autour de la figure de Riel. «D’un côté, dit-il, il a été perçu comme un grand défenseur de la libération nationale contre l’impérialisme expansionniste de la Confédération canadienne, laquelle était une extension de l’impérialisme britannique. D’un autre côté, on l’a vu dans la deuxième moitié du 20e siècle comme le précurseur des valeurs canadiennes formulées depuis les années 1960 dans les politiques de multiculturalisme et de bilinguisme. On peut voir qu’il avait anticipé ce projet de nation d’un océan à l’autre, qui réunirait les peuples qui avaient en commun le fait d’être canadiens.»
William Pedneault-Pouliot rappelle que c’est principalement au Canada anglais qu’on a fait de Riel l’un des pères fondateurs du Canada. «On l’a presque anglicisé avec le temps, ajoute-t-il. Il s’était battu pour le concept d’un Canada semblable à celui d’aujourd’hui, basé sur la diversité. Il faut dire que le pays a énormément changé au fil du temps. La situation s’est complètement inversée. Celui qui était démonisé au 19e siècle par les Ontariens protestants est devenu le symbole de ce qu’on a espéré en théorie par la suite: un Canada bilingue, une entité multiethnique et géopolitique où toutes les nationalités recevraient un traitement et une représentation politique équitable. On créerait une espèce de vivre-ensemble commun. On a l’impression qu’il défendait cela pour un projet de confédération. En fait, il se mettait en travers du projet confédératif. Il s’y opposait directement. D’où l’importance pour moi de replacer Riel dans son contexte, surtout de replacer les luttes des Métis dans leur contexte.»
Un parcours mouvementé et contrasté
Deux ans après la création du Dominion du Canada, en 1867, le gouvernement conservateur, dirigé par le premier ministre John A. Macdonald, soumet un projet de loi sur la colonisation des territoires du Nord-Ouest. Ce territoire est habité par des Métis francophones et des anglophones nés au Canada. Ces habitants n’ont jamais été consultés sur ledit projet. Derrière se profile le désir d’étendre le Canada de l’océan Atlantique jusqu’à l’océan Pacifique. Menacés de perdre leurs droits territoriaux, les Métis forment le Comité national des Métis qui demande des garanties territoriales, linguistiques et culturelles, ainsi qu’un gouvernement élu. La situation se détériore et les Métis forment un gouvernement provisoire. Louis Riel, alors secrétaire du Comité, est nommé président de ce gouvernement. Entre 1869 et 1870, il dirige une première rébellion. En 1884, il prend la tête d’une seconde rébellion qui se termine par une défaite militaire lors de la bataille de Batoche.
«Riel s’est rendu volontairement, précise William Pedneault-Pouliot. Il espérait un grand procès publicisé devant la Cour suprême du Canada pour faire entendre la cause des Métis. Son procès a finalement lieu à Regina devant un jury composé de six anglophones protestants. Les avocats tentent de faire valoir sa non-culpabilité pour raison d’aliénation mentale. Mais Riel livre un plaidoyer qui va à l’encontre de leur argument. Il insiste sur sa lucidité pour ne pas discréditer sa lutte pour les revendications des Métis. Il est finalement condamné à la pendaison pour haute trahison.»
Selon l’étudiant, Louis Riel, perçu comme héros et patriote du projet canadien moderne, a laissé un héritage complexe et multiple. Il a été un grand défenseur des réclamations territoriales et culturelles des Métis. Son activité politique l’a mené autant sur les champs de bataille que dans les plus hautes instances politiques de la fédération canadienne, à Ottawa, en passant par des moments d’exil aux États-Unis. Il a aussi fait des séjours d’hospitalisation dans les hôpitaux psychiatriques de Montréal et de Québec.
«Au Québec, souligne-t-il, les gens étaient généralement plus sympathiques à la cause des Métis, sans être unanimes. La condamnation de Riel a été perçue comme une attaque directe, par le mouvement conservateur de John A. Macdonald, contre le Canada français. Le gens percevaient que Riel avait été condamné pour son appartenance linguistique et religieuse.»