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Quand Shella Munkurize est arrivée à l'Université Laval pour faire sa maîtrise en psychologie, elle entendait souvent parler du syndrome de l'imposteur, dans sa définition traditionnelle. «Aux études supérieures, plusieurs étudiants ne se sentent pas à leur place, parce qu'ils ont l'impression de ne pas avoir les habiletés requises. Sauf que moi, je ressentais ça au niveau culturel, comme je suis une immigrante de deuxième génération et que je ne parle pas ma langue.»
Burundaise d'origine, elle explique que sa culture est grandement rattachée à la langue, sans quoi il est difficile d'avoir accès à l'histoire et aux livres. «C'est un blocage», a-t-elle constaté.
Si elle a vécu des expériences de rejet et de discrimination de la part de son groupe culturel d'origine, elle en a aussi vécu de Canadiens et de Québécois qui ne la considèrent pas nécessairement des leurs non plus. Cette expérience personnelle et le sentiment qui en résulte sont à l'origine de son mémoire de maîtrise déposé en début d'année et intitulé Étranger chez soi: le syndrome de l'imposteur culturel chez les Canadiens de deuxième génération et Canadiens d'origines mixtes.
De 2017 à 2020, elle a recruté 279 étudiants de l'Université Laval, de l'Université Concordia et de l'Université York pour participer à son étude et étoffer ce nouveau concept de «syndrome de l'imposteur culturel». Les participants, qui devaient faire partie d'un groupe de minorités visibles ou culturelles et habiter au pays depuis au moins un an et demi, ont pris environ 45 minutes pour remplir un questionnaire.
Shella Munkurize les a sondés sur leur ressenti face à leurs «compétences culturelles», soit le fait de parler la langue, de connaître les codes sociaux et les valeurs de leur groupe d'origine. «Il ne faut pas s'attarder juste sur la langue d'origine, parce qu'on peut se sentir imposteur culturel tout en la parlant», précise-t-elle. Elle s'est aussi penchée sur des facteurs qui, selon elle, peuvent avoir un lien avec le syndrome de l'imposteur.
L'importance de ne perdre pas de vue la culture d'origine
D'après les résultats de son étude, plus une personne est impliquée dans sa culture d'origine, moins il y a de chance qu'elle ait ce syndrome. Par ailleurs, plus un immigrant de deuxième génération vit des expériences de discrimination venant de son groupe d'origine culturel et du groupe dominant (canadien ou québécois), plus il a de chance de se sentir imposteur.
«Ce mémoire montre l'importance de conscientiser tout le monde, mais particulièrement les immigrants qui ont des enfants ici, qu'il ne faut pas éviter de leur enseigner la culture d'origine pour qu'ils aient plus de facilité à s'intégrer, analyse Shella Munkurize. Au contraire, le fait de la mettre en valeur va leur permettre d'encore plus s'intégrer. Sans ça, ça les rend vulnérables aux expériences possibles de discrimination.»
— Shella Munkurize
Selon d'autres études consultées par l'auteure, les personnes racisées qui sont rejetées par la majorité ont tendance à se tourner vers leur groupe culturel d'origine pour renforcer leur identité. «Mais dans ce cas-ci, pour les personnes qui ont un syndrome de l'imposteur lié au manque de compétences culturelles, ça renforce le sentiment d'être doublement rejeté.»
Sa propre recherche met en lumière que plus une personne ressent le syndrome de l'imposteur cultuel, moins il y a de chance qu'elle ressente un bien-être psychologique et une satisfaction de vie, et plus elle a de chance de présenter des symptômes de dépression. «Le fait de se sentir triste, de sentir que les autres ne nous apprécient pas, ça ne veut pas nécessairement dire que nous allons développer une dépression, mais que nous pouvons avoir certains symptômes», nuance Shella Munkurize, qui est aujourd'hui adjointe clinique et professionnelle de recherche.
Elle pousse la réflexion plus loin, laissant voir un cercle vicieux: «Si on se sent comme un imposteur et que ça a un impact sur notre bien-être, on aura du mal à s'intégrer à notre environnement.»
Sans pouvoir généraliser ses résultats, comme il ne s'agit pas d'une étude expérimentale et que son échantillon est petit, Shella Munkurize estime que son mémoire est une première étape qui a permis d'observer le nouveau concept de syndrome de l'imposteur culturel et de voir comment il est lié à d'autres réalités.

Shella Munkurize
Elle croit qu'il serait intéressant d'effectuer une étude longitudinale et d'observer l'évolution de ce syndrome au fil du temps. «Même moi, j'ai vu la progression de ce sentiment à travers mon projet de maitrise. Je ressens beaucoup moins cette impression-là, même si je ne parle toujours pas ma langue d'origine. Je me suis plus imprégnée de ma culture, j'ai réfléchi davantage à mon identité culturelle, comment je la vois, comment je l'intègre. C'est pourquoi je pense que l'identité culturelle est aussi un sujet à explorer davantage.»
«Être immigrant de deuxième génération est particulier, poursuit l'auteure, parce qu'on ne sera jamais reconnu, on ne va jamais se sentir à 100% le membre d'un groupe ou de l'autre, on sera forcément un mélange des deux. Et à travers ça, j'ai accepté cette ambiguïté.»
Ce mémoire a été en quelque sorte «thérapeutique» et lui a permis de constater qu'elle n'était pas seule à vivre ce qu'elle a appelé le syndrome de l'imposteur culturel. «Les 279 personnes qui ont répondu à mon questionnaire ont prouvé que c'est un réel ressenti.»