Entre le banquet du village gaulois d'Astérix, une nature morte et un cabinet de curiosités, il y a l'exposition Attention Arsenic, en cours jusqu'au 16 mars à la Salle d'exposition du pavillon Alphonse-Desjardins. Âmes sensibles s'abstenir: la céramique se marie ici à la taxidermie. Mathilde Demoli et Vénetia, toutes deux finissantes à la maîtrise en arts visuels, proposent une installation «un peu horrifique et surtout toxique, à dévorer des yeux seulement», décrit l'équipe des Collections d'objets et de spécimens de l'Université Laval, qui a collaboré avec les artistes.
En entrant dans la salle à l’éclairage tamisé, on remarque les banderoles rouges indiquant DANGER. Une signalétique qui n'est pas anodine, tout comme le titre de l'«exposition la plus dangereuse au monde». «À notre première rencontre avec Valérie Boulva, chargée de conservation et de restauration à la Bibliothèque, elle nous a dit de faire attention. Entre le 18e et la fin du 20e siècle, les spécimens naturalisés étaient traités au savon arsenical. Ça nous a frappées», souligne Mathilde Demoli. Elle et sa collègue ont décidé de jouer avec cette découverte, de l'intégrer à leur démarche en rendant la visite sécuritaire, sans tout mettre en vitrine.
S'il y a bien quelques objets sous cloche, la faune se laisse voir sans écran: un faisan de Colchide albinos, un dindon sauvage, un grand héron, un couple de poules Chanteclerc (une espèce rare patrimoniale québécoise), un lièvre, un veau à deux têtes et un autre à deux corps (des malformations congénitales), un esturgeon de mer, une oie de Ross, un isard suspendu par les pattes… Mathilde Demoli, artiste céramiste française qui fait de la taxidermie, a été soufflée par l'étendue des collections de l'Université et y a vu un potentiel.
Elle a entraîné dans son projet Vénetia, avec qui elle partage un atelier Roulement à billes, près de l'édifice La Fabrique. «Un de nos points communs, c'est l'hospitalité, la convivialité, d'où l'idée du banquet.»
Pour l'amour du vivant
Sur la table, le duo a mis sur un pied d'égalité œuvres d'art et spécimens scientifiques, sans indiquer ce qui vient des artistes ou des collections. «On voulait laisser le spectateur chercher la nature des objets, chercher ce qui est fabriqué ou non, le vrai, le faux», précise Mathilde Demoli.
La taxidermiste est bien consciente que les animaux empaillés soulèvent des questions éthiques. Elle tient d'ailleurs à souligner qu'elle ne tue pas les bêtes avec lesquelles elle crée, elle les trouve ou les récupère. «Je suis du côté de la cause animalière. Ce qui m'attire, c'est l'amour du vivant, c'est beaucoup de curiosité», poursuit la jeune femme flexitarienne, qui se pose des questions sur la manière dont on consomme et trouve important d'y réfléchir.
Cette grande tablée qui déborde, avec un côté chasse, un côté ferme et un centre marin, montre d'ailleurs la surabondance. «On a l'habitude d'avoir un morceau de viande prédécoupé. On n'est pas conscient de l'animal derrière l'aliment. On se voile un peu la face», dit celle qui façonne aussi des pièces de céramique un peu sanguinolentes, inspirées de certaines étapes de taxidermie et de «ce qu'on voit depuis l'intérieur».
Les céramiques plutôt florales disposées sur la table, qui ressemblent à des coraux, sont l'œuvre de Vénetia, qui a aussi conçu une série de petits bols. Ils serviront au banquet, «comestible cette fois», du finissage de l'exposition. Les deux étudiantes accueilleront le public pour clore cette aventure le jeudi 16 mars, à compter de 17h.