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Une enquête par questionnaire en ligne réalisée au mois de septembre dernier par la firme Léger auprès d’un échantillon de 2000 personnes âgées de 18 ans et plus vivant au Québec met en lumière un consensus sur la question du climat. Ce sont 86% des répondants qui croient à l’urgence et à la nécessité d’agir en ce domaine. Le sondage révèle également que la population a des attentes élevées par rapport aux entreprises (84%), aux gouvernements (76%) et aux individus (76%) pour qu’ils en fassent davantage dans ce dossier. Les répondants au sondage sont par ailleurs très favorables à des mesures d’adaptation et d’atténuation comme le verdissement urbain (94%). Ils se disent en outre favorables, dans une proportion de 86%, à une bonification du transport collectif comme l’autobus et le métro, la plupart d’entre eux (78%) étant d’accord avec l’idée d’offrir la gratuité à l’ensemble de la population.
Ces chiffres plutôt impressionnants sont tirés de l’édition 2022 du Baromètre de l’action climatique – Disposition des Québécois et des Québécoises envers les défis climatiques (PDF). Publié en décembre dernier, ce rapport de 37 pages est une réalisation du Groupe de recherche sur la communication marketing climatique de l’Université Laval. L’équipe de recherche est constituée de trois professeures: Valériane Champagne-Saint-Arnaud du Département de marketing, ainsi que Pénélope Daignault et Maxime Boivin du Département d’information et de communication. Elles ont été appuyées dans cette tâche par deux professionnelles de recherche attachées au Département de marketing.
La professeure Champagne-Saint-Arnaud fait la coordination scientifique du Baromètre depuis sa création en 2019. «Depuis ce temps, rappelle-t-elle, des aiguilles bougent de façon significative. D’année en année, le pourcentage relatif au consensus sur l’urgence d’agir augmente. Il n’a jamais été aussi élevé. De plus, les Québécois ont des attentes très élevées envers différents acteurs. Des constats forts s’affirment d’année en année. Ce sont de bonnes nouvelles. Elles traduisent un appétit réel pour des mesures plus collectives.»
Cependant, ces bonnes nouvelles s’accompagnent de nouvelles qu’elle qualifie d’«inquiétantes». «On voit le commencement d’une saturation des mesures individuelles telles que l’utilisation moindre de la voiture et la consommation moindre de viande, explique-t-elle. Nous constatons peu de changements à l’échelle individuelle entre les chiffres de 2021 et de 2022. Ceux qui recyclent sont toujours autour de 90%. Le compostage est effectué par 53% des répondants, 51% disent utiliser moins l’automobile et 43% mangent moins de viande. Mais il faut se demander si nous sommes allés chercher tous ceux qui sont désireux d’agir pour le climat. De plus, il ne faut pas jeter tout le blâme sur l’individu. Celui-ci peut accepter de changer ses habitudes, mais que peut-il faire s’il n’y a pas d’infrastructure municipale pour le compostage? Ou s’il n’a pas accès à un système de transport efficace?»
Le groupe de recherche constate également que les actions les plus populaires sont celles qui ne viennent pas trop bouleverser notre mode de vie. «Les mesures considérées comme plus radicales, comme la réduction du nombre des stationnements dans les villes, ont un faible appui, indique-t-elle, moins du tiers des répondants dans le cas des stationnements. Les deux tiers des répondants à l’enquête de 2022 se servent d’une automobile pour leurs déplacements. La culture de l’auto en solo domine les habitudes de vie des Québécois.»
Les femmes à l’avant-scène
La première édition du Baromètre de l’action climatique en 2019 avait exploré quelques mythes relatifs à l’engagement pour le climat. Les femmes sont-elles plus sensibles à cette crise que les hommes? Existe-il un fossé générationnel? Le niveau de scolarité est-il lié aux croyances ou aux comportements concernant l'action climatique? Les populations de certaines régions sont-elles moins préoccupées par les enjeux climatiques?
Les données recueillies à l’automne 2022 ont permis les constats suivants. D’abord, les femmes sont toujours à l’avant-scène de l’action climatique. Ensuite, les personnes âgées de 55 ans et plus sont très préoccupées par la crise climatique et font des choix concrets pour réduire leur empreinte, mais elles sont plus nombreuses que les autres à estimer ne pas pouvoir en faire davantage. Par ailleurs, les personnes détenant un niveau de scolarité universitaire sont plus nombreuses que les autres à avoir voté pour une candidate, un candidat ou un parti qui s’engage à agir pour le climat. Enfin, les habitants de la région métropolitaine de Québec considèrent en moins grand nombre que la crise climatique représente une menace élevée ou très élevée pour la province.
L’écoanxiété
Le Baromètre révèle que 47% des répondants ont vécu de l’écoanxiété liée aux changements climatiques au cours de la dernière année. Les femmes, les personnes âgées de 18 à 34 ans et celles ayant un niveau de scolarité universitaire sont les groupes les plus nombreux à déclarer avoir vécu un malaise psychologique et parfois physique lié à la crise climatique. L’inquiétude par rapport à l’avenir de l’humanité vient en tête des effets les plus fréquemment ressentis. D’autres effets sont la détresse, l’impuissance et le découragement. Les niveaux observés vont de faible à modéré pour la majorité des répondants.
«La première fois que nous avons mesuré les perturbations causées par les changements climatiques, les répondants étaient près d’un sur deux à avoir vécu un bouleversement, souligne Valériane Champagne-Saint-Arnaud. Ils approchent maintenant des deux tiers. Cela dit, l’an dernier, seulement le cinquième se sentait personnellement menacé. Pour une bonne partie de la population, les événements comme les tempêtes, les inondations, l’érosion des berges ou les sécheresses sont perçus comme anecdotiques. On observe chez eux une distance psychologique avec ces événements. Paradoxalement, 68% des répondants croient que la crise climatique représente une menace élevée pour la planète. Ces événements sont pourtant bien réels. Ils sont en train de s’installer et ils sont là pour rester. Il faut s’adapter rapidement et collectivement, par exemple en verdissant nos milieux urbains.»
Le groupe de recherche a exploré plusieurs pistes. L’une d’elles a consisté à comparer les façons dont les médias d’information ont parlé de la crise climatique avant et après la pandémie de COVID-19. «Nous avons remarqué que les médias, maintenant, parlent beaucoup moins souvent des changements climatiques et qu’ils le font sur un ton beaucoup plus pessimiste qu’avant, explique-t-elle. On parle des effets désastreux mais beaucoup moins des solutions. Cela peut nourrir un sentiment d’impuissance en disant qu’il est trop tard pour agir.»
La professeure croit qu’un phénomène de fatigue informationnelle peut jouer dans l’équation. «On peut, dit-elle, avoir l’impression qu’il n’y a pas du tout de solutions. Ou bien on peut avoir une vision simpliste des enjeux, comme de dire que l’humain ne joue pas de rôle dans la crise climatique.»
Le groupe de recherche parle d’«espoir lucide». «Si tous ensemble on va dans la même direction, affirme-t-elle, si les gouvernements prennent de bonnes décisions, on pourra faire des gains.»
Le Baromètre est réalisé avec le soutien financier de Futur Simple et du gouvernement du Québec. L’objectif du groupe de recherche est de faire avancer les connaissances scientifiques dans le domaine de la communication marketing autour de l’action climatique. Les résultats présentés dans ce rapport ont été pondérés selon la région, le sexe, l’âge, la langue maternelle, la scolarité et la présence d’enfants dans le ménage. Le questionnaire a été élaboré par le groupe de recherche à partir des plus récents écrits scientifiques en communication climatique, marketing social et psychologie environnementale.

— Pascal Bernardon