Ils viennent du Congo, du Bénin, du Cameroun, de la Côte d'Ivoire et d'Haïti. Ils étudient, font de la recherche ou enseignent à l'Université Laval. Cinq membres de la communauté noire ont été réunis par la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique (FFGG) pour partager leur histoire, le 16 février, à midi. Des parcours remplis de rêves, de persévérance, mais aussi jalonnés de défis, dont celui de s'intégrer quand on est loin des siens. D'où cet appel du cœur de Sena Pricette Dovonou-Vinagbe: «Allez vers l'étudiant étranger, qu'il soit Noir, Français, Arabe… On a besoin d'amour!»
Chargée de cours au Département de géographie, elle se rappelle son premier Noël au Canada, à pleurer toute seule dans sa chambre. Elle aurait aimé avoir été invitée dans une famille d'ici, le soir du réveillon. Ses parents n'étaient pas particulièrement chauds à l'idée de la voir partir pour étudier, notamment son père ingénieur agronome, son modèle. Mais le goût d'apprendre et de pousser ses recherches sur le lien entre l'humain et son environnement l'a menée de l'Université d'Abomey-Calavi, au Bénin, à l'Université de Moncton, puis du Fonds international de développement agricole, en Italie, à l'Université Laval.
Les panélistes invités dans la cafétéria du pavillon Abitibi-Price pour le Mois de l'histoire des Noirs avaient tous ce type de trajectoires à l'international. Ils ont voyagé après avoir obtenu des bourses d'études. Ils ont fait des aller-retour dans leur pays d'origine pour y travailler. Ils ont été consultants; ils ont mis en place ou géré des organisations non gouvernementales. Ils sont repartis pour décrocher des doctorats et postdoctorats.
C'est le cas de Damase P. Khasa, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt, dont les travaux touchent la génomique forestière et environnementale, les symbioses végétales et les applications en agroforesterie, foresterie et développement rural en milieux tropical, subtropical et tempéré. Né au Congo, ex-Zaïre, dans un tout petit village, ce fils d'agriculteurs poursuivait ses études quand le président dictateur Mobutu Sese Seko a décidé de fermer l'Université de Kinshasa, en 1980. «Les étudiants s'agitent tout le temps. Il ne voulait pas de soulèvement», explique-t-il.
Damase P. Khasa se considère chanceux d'avoir été recruté dans un programme de formation d'ingénieur forestier par l'Université Laval. Il a donc atterri dans son actuelle faculté en septembre, cette année-là. «J'ai bien aimé le Québec; je me suis marié avec une Québécoise», dit-il en ajoutant plus tard avoir trouvé une famille d'adoption.
Une «recette» pour bien s'intégrer
Professeur depuis 2004, il a identifié une «recette» pour bien s'intégrer: «l'intégration passe par l'immersion, les attitudes qu'on adopte, l'humilité et le travail».
Après avoir étudié et travaillé aux États-Unis, où il a vécu son «choc culturel», Guetchine Gaspard, originaire d'Haïti, est arrivé à Québec récemment. «Je me retrouve plus», dit le professionnel de recherche à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique et au Centre de recherche en données et intelligence géospatiales. Il a rencontré ici une communauté haïtienne, apprécie l'équilibre avec une vie de famille paisible et trouve les gens de son département très ouverts.
«Personne ne voulait être avec moi»
Si le temps arrange les choses et que l'intégration se fait progressivement, un commentaire est revenu quelquefois en cours de discussion: la difficulté de se faire accepter pour les travaux d'équipe. Guetchine Gaspard l'a constaté comme instructeur. Les Noirs s'isolent et les Blancs restent entre eux, dit-il. «C'est naturel de se mettre avec ses amis, mais l'autre, il n'en a pas. Si seulement les gens pouvaient penser à ça, parce que psychologiquement, on ne peut pas tenir.»
Dogninema André Soro, stagiaire postdoctoral au Département des sciences du bois et de la forêt, s'est senti tout de suite accueilli à l'Université Laval. Il raconte avoir vécu cet isolement au début de ses études en ingénierie écologique, en France, avant que les choses ne se placent. «Personne ne voulait être avec moi, par ma couleur de peau, dans les travaux.»
À son arrivée au Nouveau-Brunswick, Sena Pricette Dovonou-Vinagbe et les deux autres étudiants à l'international de son programme n'ont pas eu le choix de se retrouver tous les trois en équipe. «J'ai compris qu'il fallait faire plus d'effort, c'est du dépassement de soi», dit celle qui a aussi dû s'adapter à la langue et à l'accent.
Mon nouveau pays, c'est l'hiver
Bien entendu, la plupart des panélistes ont eu un choc thermique en découvrant l'hiver québécois. Certains se sont gelé les mains. «Et quand ça dégèle, ça fait mal!», se souvient Damase P. Khasa comme si c'était hier. Junie Brodel Chamdjou Tchamdjou, étudiante au doctorat en sciences forestières et originaire du Cameroun, a bravé sa première tempête et failli s'envoler au vent. Autrement, elle comprenait mal que des journées puissent être à la fois aussi ensoleillées et aussi froides.
Très jeune, elle était déjà attirée par le Canada, puis a découvert que le Québec en faisait partie. Celle dont le père disait: «Ton premier mari, c'est l'école» poursuit ses études et ses recherches en agroforesterie et résilience des agriculteurs aux changements climatiques. Outre l'hiver, c'est la méthode d'enseignement complètement différente, très informatisée avec monPortail, qui lui a demandé beaucoup d'adaptation. «J'ai dû apprendre à connaître ça, à me familiariser au système. On m'a beaucoup aidée», dit-elle en saluant la professeure Alison D. Munson, assise dans l'assistance, qui lui a renvoyé un sourire complice.
Junie a appris le fonctionnement des cours, des évaluations. «Il faut demander si on ne comprend pas», glisse-t-elle simplement.
Une cinquantaine de personnes sont venues écouter les panélistes sur leurs parcours scientifiques. Alexis Achim, vice-doyen à la recherche à la FGGG, a souligné que cette activité a été organisée dans un souci d'avoir une meilleure intégration des personnes noires, mais aussi de tous les étudiants de l'international.