Alors que certaines personnes n’hésitent pas à révéler au monde entier tous les détails de leur quotidien sur les réseaux sociaux, d’autres s’inquiètent d’une violation de leur vie privée dès qu’elles naviguent sur Internet ou entrent dans un lieu public susceptible d’abriter des caméras de surveillance. Les premières sont-elles trop naïves et les secondes paranoïaques?
En fait, il est juste de craindre certaines dérives engendrées par les nouvelles technologies. Toutefois, la vie privée est de mieux en mieux protégée par le système juridique québécois, qui s’est adapté aux nouvelles réalités du monde numérique. C’est ce que révèle le professeur Pierre-Luc Déziel, de la Faculté de droit, à la fois heureux des avancées juridiques en la matière et conscient qu’il reste encore du chemin à parcourir pour bien encadrer le droit à la vie privée.
Ce professeur sera l’un des invités à la table ronde «Sous surveillance: la vie privée dans un monde numérique», qui se tiendra le 31 janvier au Musée de la civilisation.
Une législation actualisée
Le 22 septembre dernier, les premières mesures de la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels – aussi connue comme le projet de loi no 64 – sont entrées en vigueur. Cette nouvelle loi apporte des modifications importantes à deux «vieilles» lois qui avaient besoin d’être dépoussiérées un peu: la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (1982) et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (1994). D’autres mesures de la loi entreront en vigueur en septembre 2023 et en septembre 2024.
«La nouvelle loi permet de donner un second souffle à la législation québécoise en matière de protection des renseignements personnels. On y prend en considération de nouvelles réalités, comme le profilage et les données biométriques», explique Pierre-Luc Déziel. «Une autre loi, spécifique au domaine de la santé, devrait bientôt être adoptée pour encadrer l’usage des données personnelles relatives à la santé», ajoute-t-il.
Avec ces initiatives, le Québec fait relativement bonne figure si on le compare aux autres États. «L’Union européenne a adopté en 2016 le Règlement général sur la protection des données. Cette loi est présentement considérée comme le modèle à l’échelle internationale. Elle est solide et musclée. La nouvelle loi québécoise a été inspirée de ce modèle européen. Plusieurs pays dans le monde commencent également à se doter de lois similaires, notamment en Asie et en Afrique», déclare le professeur Déziel.
Encore des zones grises
Si la vie privée est maintenant mieux protégée, il n’en demeure pas moins que certains éléments ne sont toujours pas couverts par la loi. Quand on demande au professeur ce qu’il reste à faire en matière de législation, il donne pour exemple les techniques de reconnaissance faciale employées par les forces policières. «Les services de police, dit-il, peuvent utiliser des techniques de reconnaissance faciale pour identifier un individu dans une foule ou dans un lieu public, ce qui peut être une atteinte à la vie privée. Généralement, quand les policiers souhaitent enquêter sur une personne pour des raisons de sécurité, ils doivent demander un mandat spécifique. C’est le cas, par exemple, pour fouiller un logis ou faire de l’écoute électronique. Pour la reconnaissance faciale, il n’y a pas de mandat spécifique, malgré que ce soit une pratique intrusive.»
Le professeur Déziel souligne que la reconnaissance faciale n’est pas la même chose que la lecture anonymisée des traits du visage, mais que cette seconde pratique entraîne, elle aussi, certaines inquiétudes, comme le rappelle la saga qui a entouré le projet-pilote d’analyse vidéo des comportements des consommateurs à Place Ste-Foy.
L’équilibre des forces dans la société
Selon Pierre-Luc Déziel, le plus grand danger qui nous guette en matière de vie privée est le désintéressement. «Ce qui pourrait arriver de pire, soutient-il, c’est que les citoyens pensent qu’il est trop tard ou trop difficile de protéger la vie privée dans un monde numérique. Il y a un réel danger à prôner une rhétorique empreinte de fatalisme. La vie privée participe à la dynamique et aux relations de pouvoir. En effet, plus on devient transparent aux organisations, plus celles-ci acquièrent du pouvoir sur nous. Si les compagnies savent ce qu’on mange, ce qu’on lit, ce qu’on écoute, ce qu’on consomme, ça leur donne la possibilité de mieux influencer, voire de manipuler notre comportement. La vie privée est donc intimement liée au partage des forces. On ne doit pas baisser les bras, car la démocratie repose sur un juste partage des pouvoirs.»
Le sujet de la protection des données personnelles vous intéresse et vous aimeriez en savoir plus? Vous êtes invité à assister à la table ronde organisée à l’occasion du 40e anniversaire de la Commission d’accès à l’information du Québec. Cette rencontre, gratuite et ouverte au grand public, réunira au Musée de la civilisation plusieurs spécialistes, dont le professeur Déziel et la présidente de la Commission d’accès à l’information, Diane Poitras, dont le mandat est précisément de préserver le droit à la vie privée des citoyens.