Presque tous les patients qui ont eu un cancer ont peur de la récidive. Mais pour 30 à 50% d'entre eux, cette crainte de voir ressurgir la maladie est sévère et pathologique. Les recherches montrent aussi que les femmes et les patients plus jeunes sont particulièrement affectés, souligne Josée Savard, professeure à l'École de psychologie.
Avec Aude Caplette-Gingras, Lucie Casault et Jennifer Hains, psychologues au CHU de Québec – Université Laval, la professeure Savard vient de publier un manuel de traitement pour réduire cette peur envahissante devant l'imprévisibilité de la maladie. L'ouvrage, une première en la matière, comprend deux parties: l'une accompagne le thérapeute étape par étape, l'autre est destinée aux patients participants.
«C'est venu d'un besoin clinique, raconte Josée Savard. Il y a une dizaine d'années, des infirmières du CHU de Québec nous ont contactés en nous disant que la peur de la récidive était une problématique très fréquente dans leur clientèle. On avait commencé à faire quelques travaux de recherche là-dessus, ça a donc précipité les choses et ça nous a incités à développer cette intervention.»
Thérapie de groupe de quatre séances
En résulte une thérapie brève de quatre séances, administrée en groupe, qui se voulait facile à implanter dans les milieux de soins. Le guide d'accompagnement regorge de mises en situation, d'exercices, de graphiques et d'explications.
La peur de la récidive de cancer survient souvent après la phase de traitements, quand les patients sont un peu «lâchés» par l'équipe médicale, illustre la professeure. Elle ressurgit dans les moments qui précèdent les tests d'évaluation, les suivis médicaux, les rencontres avec les oncologues, mais diminue une fois les résultats obtenus.
Elle devient pathologique chez ceux qui la ressentent de façon plus constante et l'ont toujours à l'esprit. Les déclencheurs sont multiples, indique la professeure. Elle énumère un ensemble des symptômes physiques, comme la douleur, une nouvelle dans les médias de célébrité décédée du cancer, la nouvelle d'un proche atteint ou décédé... En somme, tout ce qui rappelle aux patients qu'ils ont eu un cancer et qu'ils sont susceptibles d'avoir une récidive.
«Même pour un cancer avec un excellent pronostic, ce n'est jamais possible de dire que la guérison sera complète et totale. Le fait qu'on ne puisse pas leur confirmer qu'ils ont 0 % de chance d'avoir une récidive, c'est ce qui fait en sorte que l'incertitude est difficile à vivre», explique Josée Savard.
Un aspect important de l'intervention est justement d'amener les gens à tolérer davantage l'incertitude, à reconnaître que ça fait partie de la vie, que des situations négatives surviennent sans qu'on les anticipe, mais qu'il y a aussi des événements positifs qui peuvent arriver.
Déboulonner des mythes: stress et pensée positive
Dans leur ouvrage, les coauteures déboulonnent l'idée selon laquelle le stress ou l'anxiété seraient des causes de cancer et, inversement, que la pensée positive guérit.
Cette croyance, très répandue notamment par les livres de psychologie populaire, donne une impression de contrôle, poursuit la professeure. «Ça engendre souvent de l'anxiété de performance, on se met une pression à penser toujours positivement, alors qu'on vit une situation difficile. Plus on essaie d'être positif, moins on y parvient. Ça devient un cercle vicieux. On leur démontre, à l'aide d'études, qu'il n'y a pas de preuve scientifique actuellement que les facteurs psychologiques, comme le stress, causent le cancer.»
Adopter un optimisme réaliste
L'une des stratégies de l'intervention est d'exercer les patients à cultiver un optimisme réaliste, plutôt que d'osciller entre l'exagérément négatif et l'exagérément positif. «On leur fait imaginer tous les scénarios probables, incluant la possibilité d'avoir une récidive, tout en espérant que le meilleur survienne», indique Josée Savard. Elle rappelle au passage que toutes les récidives ne sont pas mortelles. «C'est possible de traiter des récidives, il y a des gens qui en ont eu qui ont survécu et vécu longtemps après.»
Éviter… d'éviter
Les coauteures y vont aussi de cet avertissement: il se peut que la peur de la récidive augmente dans la ou les semaines suivant le début de la psychothérapie. «Les gens qui ressentent une peur sévère de la récidive ont tendance à faire de l'évitement, à ne pas vouloir y penser ni en discuter. Nous, on les amène à en parler pendant une heure et demie pour quatre séances hebdomadaires pendant un mois. Ça peut faire ressurgir de l'anxiété qu'ils ont essayé de camoufler», explique Josée Savard.
La notion d'évitement revient souvent dans l'ouvrage. Cette tendance à ne pas écouter d'émissions sur le cancer, à ne pas lire sur le sujet et à chasser les pensées liées à la maladie ne règle pas le problème. «Ça a un effet boomerang. Plus on essaie d'éviter de penser à quelque chose, plus on est susceptible d'y penser. À l'aide d'exercices, on leur fait réaliser que c'est contreproductif. On les amène à s'exposer graduellement à leur peur, en évitant d'éviter!»
Rationaliser les symptômes
Un autre réflexe des personnes vivant une peur élevée de récidive de cancer est de chercher la «réassurance». Dès qu'elles ressentent une douleur inexpliquée, elles ont tendance à appeler leur infirmière pivot, à questionner plusieurs fois dans le but d'avoir un apaisement. «Si le médecin dit que ce n'est pas inquiétant, c'est rassurant sur le coup, mais aussitôt que ces patients vont avoir un autre symptôme ou le même, ils redeviennent anxieux. Donc, on leur apprend à analyser leurs symptômes d'une façon un peu plus rationnelle, avec des critères objectifs pour mieux distinguer ceux qui sont inquiétants de ceux qui sont liés à autre chose ou simplement normaux», expose la professeure Savard.
Une meilleure qualité de vie
Ce groupe de psychothérapie n'élimine pas la peur de la récidive. Le but est de la réduire et de la rendre plus tolérable au quotidien, indique la professeure. Des patients qui ont suivi le traitement et répondu à un questionnaire ont confirmé que la peur n'avait pas disparu après les séances, mais qu'elle était considérablement réduite et qu'ils notaient une amélioration de leur qualité de vie en général.
Ce programme créé au CHU de Québec – Université Laval continue d'y être offert aux personnes ayant été traitées pour un cancer. Une subvention du Fonds de soutien à l'innovation sociale a aussi permis de former des psychologues à travers le Québec. Certains l'utilisent pour des séances individuelles.
Si le guide a été publié en anglais seulement, la version française des manuels de traitement est disponible sur demande aux auteures, mentionne la professeure Savard.