Pour occuper sa retraite, Louis Massicotte voulait voyager. La pandémie a contrecarré ses plans. Il s'est donc replié sur une vieille passion: le découpage électoral. D'abord en publiant deux articles scientifiques sur le sujet. Puis en acceptant une offre reçue à l'été 2021 pour devenir membre de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour le Québec. «Il me manquait une expérience pratique de la chose», lâche dans un sourire celui qui a été professeur de science politique jusqu'en 2019.
Depuis un peu plus d'un an, il prend part à cet exercice qui aboutira en mai. «C'est un bon système. J'ai étudié le processus dans d'autres pays et je pense que le nôtre est remarquable. En passant, celui qui existe au provincial est à peu près pareil», résume-t-il.
Louis Massicotte en connaît un rayon sur le sujet. Alors qu'il était au baccalauréat à l'Université Laval, il s'amusait déjà à éplucher les gros volumes de la Gazette du Canada à la bibliothèque pour étudier les plans, les cartes et faire des calculs sur la redistribution.
Indépendance et non-partisanerie
Il explique que les façons de faire au pays ont changé en 1964. À ce moment-là, les députés ont accepté de se départir de leur pouvoir de délimiter les circonscriptions au profit de 10 commissions indépendantes, soit une par province. Le nerf de la guerre: la neutralité politique. Dans le passé, il suffisait au gouvernement en place de redistribuer une circonscription à son avantage pour exercer une vengeance politique ou «tasser» un député agressif en Chambre des communes. Un certain John Diefenbaker a goûté à cette médecine… ce qui ne l'a pas empêché de devenir premier ministre par la suite.
«Je n'ai pas de lien hiérarchique avec le gouvernement, je n'ai pas de lien avec un parti politique non plus. Il faut qu'on puisse inspirer confiance», martèle le commissaire. C'est d'ailleurs Élections Canada, une entité non partisane pour qui il a travaillé dans les années 1980, qui a recommandé sa candidature pour l'exercice en cours.
Chaque commission provinciale est composée de deux membres et présidée par un juge. Louis Massicotte travaille avec André Blais, aussi titulaire d’un diplôme en science politique de l'Université Laval et professeur associé à l'Université de Montréal, et le juge Jacques Chamberland.
Pour une représentation démocratique
Comme la population change, un redécoupage s'impose tous les 10 ans. «L'objectif est d'adapter la carte électorale et de faire en sorte qu'il y ait un certain équilibre, que les mouvements démographiques d'une province à l'autre et au sein de chaque province soit reflétée dans la représentation démocratique», explique le professeur à la retraite.
Le Canada est actuellement divisé en 338 circonscriptions électorales, chacune ayant droit à un siège à la Chambre des communes. Le nombre de sièges des provinces varie entre 4 à l'Île-du-Prince-Édouard et 121 en Ontario.
Situation inédite, rappelle Louis Massicotte, le Québec a failli perdre l'un de ses 78 sièges, les circonscriptions étant délimitées sur la base du recensement de 2021 et la population étant en déclin, comme dans 6 autres provinces. Mais devant le tollé, le Parlement a modifié la Constitution et tout est resté comme avant. «On ne s'est pas mêlé à ce débat parce qu'on n'avait pas d'affaire là. On s'est simplement ajustés à la décision finale», précise le commissaire.
Perte de population et inégalités
Pour assurer le principe d'égalité du vote pour la province de Québec, lui et ses collègues ont délimité des circonscriptions dont la population se rapproche le plus possible d'une moyenne calculée à près de 109 000 habitants. La loi permet des écarts d'environ 25%. «Il y avait trois circonscriptions qui étaient rendues hors norme, en bas du plancher», souligne Louis Massicotte en parlant des régions de la Gaspésie et de Chicoutimi.
L'exercice est mathématique, l'idée est de réduire les écarts. «En même temps, on essaie de respecter d'autres critères, comme les communautés d'intérêt. Par exemple, on va éviter de scinder une municipalité en deux.»
La Commission a déposé une proposition l'été dernier, puis s'est déplacée cet automne dans une vingtaine de villes, en réel et en virtuel, pour entendre le public. «Ce n'est pas tous les pays qui font ça. En Allemagne, il n'y a aucune consultation publique», souligne le professeur retraité.
Compréhension humaine et humilité
Ces consultations attirent principalement les députés, les maires, les préfets, mais aussi de simples citoyens. «Tout le monde est contre. Très peu de choses que nous avons proposées n'ont pas été critiquées», mentionne le commissaire.
Pour exercer ce poste, il faut avoir, selon lui, de la compréhension humaine et une bonne dose d'humilité. «Les gens qui comparaissent connaissent souvent le terrain mieux que nous. Pour un député, sa circonscription est son carré de sable, il la représente parfois depuis une dizaine d'années. En proposant d'enlever une partie, ça peut affecter son équipe si son organisateur vit là», illustre Louis Massicotte. La Commission a aussi découvert toutes sortes de réalités, comme un groupe de quatre villages de descendants acadiens qui ne voulaient pas être séparés dans la région de Joliette.
À la lumière de ces consultations, un rapport sera déposé ce mois-ci. Les députés pourront ensuite soumettre des oppositions à un comité parlementaire. Puis les délibérations seront transmises à la Commission pour la décision finale, vers le mois de mai. Ce qui mettra fin au processus: les limites des circonscriptions seront fixées pour 10 ans.
Toponymie autochtone
Louis Massicotte croit que cette Commission sera importante historiquement pour une chose. «On a voulu ajouter un toponyme autochtone au nom de 11 circonscriptions, une pour chaque nation autochtone reconnue au Québec. Joliette deviendrait par exemple Joliette-Manawan. C'est une contribution à la réconciliation.»
Occuper une position comme celle-là, dans une Commission décisionnelle, est un «honneur civique», estime le professeur Massicotte. S'il était bien préparé à exercer cette fonction – il a même été invité à donner des cours préparatoires à la Commission précédente, 10 ans auparavant –, il a appris énormément ces derniers mois.
Il suppose que le récit de sa contribution en tant que politologue éveillera peut-être des vocations chez les étudiants. Comment s'y préparer? «Il n'y a rien de garanti, mais si vous avez un intérêt pour ce genre de chose, n'hésitez pas à le développer. Mon mémoire de maîtrise portait là-dessus», lance Louis Massicotte, qui a fait un portait sur la réforme de la carte électorale provinciale réalisée en 1972 sous la direction de feu Vincent Lemieux. Avant de devenir professeur, il a aussi travaillé à la Bibliothèque du Parlement, en plus de ses années à Élections Canada. Dernier conseil: rendez-vous aux prochaines consultations publiques de la Commission, en 2032!