![L’Adoration des bergers, Gerrit van Honthorst, 1622. L’évangile de Luc raconte que Marie et Joseph vivent à Nazareth et se rendent à Bethléem pour le recensement impérial. Comme il n’y a pas de place dans les maisons de cette ville pour les héberger, et comme Marie est sur le point d’accoucher, elle donne naissance dans une étable. Puis ils retournent à Nazareth.](https://assets.ulaval.omerloclients.com/5084b8cae4239e6a5a29df833c3a129c83bb17796831ace8808e462e39e80743.jpg??width=1024)
L’Adoration des bergers, Gerrit van Honthorst, 1622. L’évangile de Luc raconte que Marie et Joseph vivent à Nazareth et se rendent à Bethléem pour le recensement impérial. Comme il n’y a pas de place dans les maisons de cette ville pour les héberger, et comme Marie est sur le point d’accoucher, elle donne naissance dans une étable. Puis ils retournent à Nazareth.
«La naissance de Jésus, telle qu’elle est relatée dans le Nouveau Testament, est-elle un événement si joyeux que ça? demande le professeur d’exégèse biblique Sébastien Doane, de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. La réponse est clairement non. Il y a beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de violence et de souffrance.»
Le jeudi 15 décembre, le professeur Doane a animé un séminaire en ligne sur la naissance de Jésus, un événement clé pour plus de deux milliards de chrétiens. L’activité, qui a attiré plus de 160 internautes, était organisée par la Chaire de leadership en enseignement Marcelle-Mallet en exégèse biblique, dont il est le titulaire. Elle s’inscrit dans le droit fil de la parution, en octobre, d’un ouvrage de 110 pages coécrit par le professeur Doane, la réalisatrice Stéphanie Pillonca et l’infirmière clinicienne Elaine Sansoucy. Édité chez Novalis et Bibli’o, le livre porte sur les récits bibliques de Noël et s’intitule Joyeux Noël … Simple formule ou message d’espérance?
L’exposé du professeur reposait sur les deux premiers chapitres de deux évangiles: celui de Matthieu et celui de Luc.
Selon lui, nous avons tendance aujourd’hui à présenter Noël de façon très légère, en particulier aux enfants. «Nous éludons les éléments difficiles à être survenus autour de cette naissance, a-t-il dit. J’habite près de l’Oratoire Saint-Joseph et c’est ce que montrent les crèches de l’endroit.»
Ce dernier dit n’avoir aucune idée de ce qui s’est réellement passé il y a 2000 ans. «On a deux récits sur le mode narratif, a-t-il expliqué. Ces récits sont assez distincts. Les personnages sont les mêmes. Mais en Matthieu, la naissance a lieu dans la maison de Joseph à Bethléem. En Luc, il n’y a pas de place dans les maisons de cette ville où viennent d’arriver Joseph et Marie. Cela se passe dans une étable.»
Un récit plus sombre, un autre plus lumineux
En Matthieu, Joseph et Marie sont fiancés et ne vivent pas encore ensemble. Une fois Marie enceinte par l’action de l’Esprit saint, Joseph, après l’apparition d’un ange dans un rêve, refuse de la dénoncer publiquement et décide de l’accueillir chez lui. Il n’y eut aucune relation sexuelle entre eux jusqu’à ce qu’elle eût mis son fils au monde. Au même moment, le roi Hérode est troublé par des mages venus d’Orient pour rendre hommage au roi des juifs qui viendrait de naître. Croyant sa légitimité remise en question, il pose un geste radical et ordonne la mise à mort des enfants de moins de deux ans de Bethléem et de tout son territoire. Voyant cela, Joseph et Marie décident de s’exiler avec l’enfant en Égypte tels des réfugiés politiques. Ils reviendront après s’installer en Palestine, à Nazareth. L’histoire de Luc diffère. Marie et Joseph vivent à Nazareth et se rendent à Bethléem pour le recensement impérial. Marie, enceinte, accouche à cet endroit dans une mangeoire d’animaux, puis ils retournent à Nazareth.
«En Matthieu, a poursuivi Sébastien Doane, on a le dark side of Christmas, le côté sombre de Noël, comme j’aime à dire. Mais dans ce récit violent, on peut trouver l’espérance parce que celui qui est né fut appelé Jésus par Joseph, un nom qui signifie «Celui qui sauve son peuple». Il y a quelque chose du salut qui se passe dans ce nom. Autre exemple: les mages ressentent une très grande joie à la vue de l’astre qui allait les conduire jusqu’à Bethléem, où il s’arrêtera au-dessus de l’endroit où était le nouveau-né.»
Selon lui, bien des dangers menaçaient Marie et l’enfant conçu hors mariage et pas encore né. «Dans l’Ancien Testament, a-t-il expliqué, il n’y a aucune mention d’un divorce à la suite d’un soupçon d’adultère. On a des lapidations par contre. Renvoyer Marie, en secret ou publiquement? Imaginons que la mère et l’enfant ne viennent pas vivre chez Joseph, dans un petit milieu où tout le monde se connaît, les réactions seraient que l’on ne fait pas affaire avec quelqu’un qui est sujet de honte. Comment peut-on entrer en relation avec cette personne, comment, par exemple, lui vendre du pain? La femme serait stigmatisée, marginalisée à la naissance de l’enfant. Cette situation nous relie à tous les crimes d’honneur, soit comment une culture patriarcale gère l’honneur de la famille. En Matthieu, l’ange amène Joseph, qui pensait rompre avec Marie, à changer d’idée. Il lui dit de ne pas avoir peur de la prendre chez lui. Cela induit l’idée du salut. Il y a de la vie possible malgré le danger.»
En Luc, la joie occupe une plus grande place. «Pensons au Magnificat, le cantique de Marie, enceinte, qui exalte le Seigneur, a-t-il indiqué. Pensons également à la visite de Marie, enceinte, à sa cousine Élisabeth et à l’enfant qui bondit dans le ventre de celle-ci. La difficulté qui se présente vient du recensement impérial qui force Joseph et Marie à se rendre de Nazareth à Bethléem pour s’inscrire. Ce récit plus joyeux comprend les chants de gloire des anges et des bergers. Luc écrit : «Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait: “Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés”.»
Rachel, mère inconsolable
Dans son évangile, Matthieu établit un lien entre l’infanticide de Bethléem et le personnage de Rachel dont parle le livre du prophète Jérémie dans l’Ancien Testament. Ce livre relate l’accouchement difficile et la mort de cette femme sur la route durant un exil, quelques siècles auparavant. Matthieu écrit: «Alors s’accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie: “Une voix dans Rama s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte: c’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus”.»
Selon le professeur Doane, le symbole que représentent les pleurs de Rachel a inspiré, à notre époque, des exégètes, des pasteurs, des journalistes et des autorités civiles appelés à commenter des tragédies comme l’holocauste, les guerres, les tueries en contexte scolaire et même pour dénoncer la pauvreté infantile.
L’écrivain Albert Camus a lié le massacre de Bethléem et la souffrance de Rachel à Jésus. Il a écrit: «Les enfants de la Judée massacrés pendant que ses parents l’emmenaient en lieu sûr, pourquoi étaient-ils morts sinon à cause de lui? Il ne l’avait pas voulu, bien sûr. […] Mais tel qu’il était, je suis sûr qu’il ne pouvait les oublier. Et cette tristesse qu’on devine dans tous ses actes, n’était-ce pas la mélancolie inguérissable de celui qui entendait au long des nuits la voix de Rachel, gémissant sur ses petits et refusant toute consolation?».
Naître en zone de guerre
Les souffrances du peuple ukrainien nous affectent tous. Pour rappel, ces souffrances, causées par l’armée russe, ont commencé fin février 2022. Ces jours-ci, lorsque Sébastien Doane entend l’expression «Joyeux Noël», ses pensées vont aux enfants nés depuis le début de l’invasion. «Au début du conflit, a-t-il rappelé, on avait des images et des récits de femmes qui accouchaient dans les hôpitaux bombardés et de femmes qui se réfugiaient dans le métro de Kyiv avec leur bébé. À quelque part, ces drames symbolisent la fragilité de la vie, mais aussi l’espoir. Malgré le danger, les destructions et les souffrances, des femmes continuent à donner naissance. La vie est là malgré les difficultés, malgré la mort.»