2 décembre 2022
Religions et végétarismes
Les professeures Simone Lemieux et Florence Pasche Guignard ainsi que le rabbin Schachar Orenstein ont abordé, dans une table ronde, différents enjeux de l’alimentation végétarienne et végétalienne liée à certaines traditions religieuses

— Getty Images
Le mercredi 30 novembre, une table ronde organisée par l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval s’est tenue au pavillon Paul-Comtois sur le thème «Religions et végétaR/Lismes». L’activité réunissait les professeures Simone Lemieux et Florence Pasche Guignard, respectivement de l’École de nutrition et de la Faculté de théologie et de sciences religieuses. Le troisième panéliste, le rabbin montréalais Schachar Orenstein, était en visioconférence. Une cinquantaine de participants, principalement des internautes, ont assisté à la table ronde.
Cet atelier, fruit d’une collaboration inédite entre deux facultés, a permis de cerner quelques-uns des principaux enjeux de l’alimentation végétarienne et végétalienne liée à certaines traditions religieuses. Le coup d’envoi a été donné par Simone Lemieux. Sa présentation a porté sur les aspects nutritionnels et physiologiques de ce type d’alimentation.
Selon elle, le végétarisme se définit comme une façon de s’alimenter qui est basée surtout, et parfois même exclusivement, sur les aliments d’origine végétale. Il existerait une demi-douzaine de types de régimes végétariens et semi-végétariens.
En 2018, une étude de chercheurs de l’Université Dalhousie estimait à 82,5% la proportion de Canadiens sans régime alimentaire spécifique. Ils étaient suivis par les flexitariens à 10,2% de la population. Ces végétariens mangent occasionnellement de la viande et du poisson. En troisième position venaient les végétariens à 2,1% de la population, dont la diète est sans viande, poisson, ni volaille.
«La pratique du végétarisme, a-t-elle indiqué, est le fait d’une minorité dans le monde. Une étude internationale datant de 2021 révèle que le nombre d’adeptes serait d’environ 5% dans les populations d’Europe et d’Amérique du Nord. En Asie, cette proportion monterait à 19%.»
Plusieurs études ont été faites sur les liens entre la pratique du végétarisme et la santé, plus précisément sur la santé cardiovasculaire, les cancers associés au système digestif, la santé osseuse et même la santé mentale.
«Les études n’établissent pas de lien entre le végétarisme et les accidents vasculaires cérébraux, a précisé la professeure Lemieux. Il n’y aurait donc pas de risques cardiovasculaires à suivre ce type de régime alimentaire. Encore mieux en ce qui concerne les cancers, les chercheurs observeraient une diminution de 8% des risques de développer ce type de maladie. Par ailleurs, les taux de fractures seraient plus élevés chez les végétaliens lorsque les apports en calcium sont inadéquats. Quant à la maladie mentale, peu d’études existent sur le sujet et les résultats ne sont pas concluants.»
Les nutriments clés
La conférencière a ensuite abordé la question des nutriments clés dans l’alimentation végétarienne. Simone Lemieux a expliqué que ce type de régime est habituellement plus faible en lipides saturés et en cholestérol que l’alimentation omnivore. Il est également plus riche en fibres, magnésium, potassium, vitamines C et E, caroténoïdes, flavonoïdes et autres constituants phytochimiques. Enfin, on observe fréquemment, et tout particulièrement chez les végétaliens, des apports plus faibles en vitamine B12, vitamine D, calcium, zinc et acides gras oméga-3 à chaîne longue.
Selon elle, trois catégories de nutriments sont à surveiller dans l’alimentation végétarienne. Ce sont les macronutriments comme les protéines et les acides gras oméga-3, les minéraux comme le fer, le zinc, l’iode et le calcium, et les vitamines, soit la vitamine D, la vitamine B12 et la vitamine A, de même que la riboflavine. Les sources de protéines végétales sont les légumineuses, le tofu, les noix, les graines, la levure alimentaire et les produits céréaliers.
«Le message clé, a-t-elle souligné, est que le fait de manger quotidiennement une variété d’aliments d’origine végétale peut fournir suffisamment de protéines pour favoriser et maintenir une bonne santé.»
Simone Lemieux a terminé sa présentation en rappelant que l’alimentation végétarienne est associée à plusieurs bénéfices pour la santé, est globalement associée à des habitudes alimentaires qui contribuent à prévenir les maladies chroniques et est compatible avec les recommandations du Guide alimentaire canadien.
Quatre traditions d’Asie
La conférencière suivante était Florence Pasche Guignard. Elle a fait porter son exposé sur l’hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme et le sikhisme, quatre traditions religieuses très diverses originaires de l’Asie du Sud. L’hindouisme est plurimillénaire, le bouddhisme et le jaïnisme ont émergé au 6e siècle avant Jésus-Christ, et le sikhisme a vu le jour au tournant du 16e siècle de notre ère. «Le végétarisme, a-t-elle précisé, reste un enjeu important qui a des répercussions sur le vivre-ensemble, la santé, l’environnement et autres. En Inde, on estime qu’entre 40 à 75% des habitants seraient végétariens et qu’entre 1 à 1,6% seraient végétaliens. On constate, à l’intérieur d’une même tradition, des pratiques très différentes: d’un végétarisme strict à quelques pratiques de sacrifice animal qui subsistent.»
Selon elle, la sévérité des restrictions varie d’une religion à l’autre. Dans le bouddhisme, par exemple, les moines et les nonnes suivent plus strictement que les laïcs les idéaux de non-violence. «La plus restrictive de toutes reste le jaïnisme, a affirmé la professeure Pasche Guignard. Le jaïnisme préconise d'éviter, par exemple, tous les légumes-racines tels que carottes, patates et gingembre, car leur production dérange ou détruit des petits organismes qui vivent dans la terre.»
La conférencière a insisté sur ce qui distingue le sikhisme de façon remarquable. «Cette religion, a-t-elle dit, offre à quiconque visite un lieu de culte sikh un repas végétarien communautaire gratuit. On mange ensemble, à même le sol, le même repas végétarien assez simple. Le sikhisme est associé au végétarisme. Contrairement aux trois autres religions, il ne préconise pas de pratiques monastiques ou ascétiques.»
La professeure a rappelé que le lacto-végétarisme est bien plus fréquent en Asie du Sud que dans les sociétés européennes ou nord-américaines. Ce régime alimentaire consiste à s’abstenir de consommer de la viande ainsi que des œufs, tout en consommant des produits laitiers. «Beaucoup d’hindous sont végétariens, a-t-elle indiqué, en particulier ceux et celles qui suivent une perspective brahmanique, mais pas tous.»
Selon elle, être végétarien en Asie du Sud n’est pas toujours un choix personnel et individuel que l’on fait après une prise de conscience. Il s’agit plutôt d’une tradition familiale ou communautaire. «On est végétarien parce qu’on est né dans une famille ou une communauté végétarienne», a-t-elle souligné.
En Inde, les œufs sont considérés comme non végétariens au même titre que la viande. Ainsi, un gâteau industriel peut être marqué «veg» s’il contient du lait mais pas d’œufs. On retrouve ces catégories de «veg» et «non veg» sur les produits manufacturés tels que les cosmétiques et les dentifrices, mais aussi dans les annonces matrimoniales. «En Inde, a conclu Florence Pasche Guignard, le végétarisme reste un critère important.»
L’humain, les animaux et la planète: même combat
D’entrée de jeu, le rabbin montréalais Schachar Orenstein est remonté à l’époque de ses 17 ans alors que, étudiant à l’Université McGill, il est tombé par hasard sur le livre Diet for a New America, de l’auteur américain John Robbins. «Ce livre m’a vraiment impressionné, raconte Schachar Orenstein. En conséquence, depuis 33 ans, je suis un régime à base de plantes. Dans son livre, Robbins, qui est juif, présente trois voies en même temps universelles et juives vers le végétarisme et le végétalisme. Ce sont la santé humaine, la compassion envers les animaux et la protection de l’environnement.»
Le conférencier a rappelé qu’il y a obligation pour les juifs de prendre soin de leur corps. Un verset de la Bible est à la base de cette idée. Un autre concept important pour beaucoup de juifs se traduit par «la souffrance des êtres vivants».
«Il y a cinq ans aux États-Unis, 75 rabbins ont encouragé les membres de leur communauté à devenir végétariens à cause de de cette notion, a-t-il expliqué. Beaucoup de rabbins sont végétariens. Dans notre tradition, le quatrième des 10 commandements bibliques stipule que le septième jour tu ne feras aucune œuvre ce jour-là, ni ton fils, ni ton serviteur, ni ton bétail. Au 19e siècle, l’ancien grand rabbin du Royaume-Uni, Joseph Hertz, rappelait dans un essai que la loi juive s’est préoccupée du bien-être des animaux bien avant tout système juridique occidental. Cela veut dire que, jusqu’au milieu de ce siècle, la cruauté envers les animaux n’est nulle part illégale en Occident. Dans la loi juive, c’était interdit.»
Du point de vue juif, il faut «réparer le monde». «Par cette expression, a-t-il poursuivi, les juifs sont appelés à rendre le monde plus juste, plus tolérant, plus pacifique et plus égalitaire par des actes de charité, de bonté et d’action politique. Soigner la planète fait partie de cette idée qui inclut la justice sociale et la justice pour les animaux. De plus en plus de juifs aujourd’hui définissent leur identité par cette notion.»
En 2009, l’écrivain américain juif Jonathan Safran Foer publiait l’essai Eating Animals, en français Faut-il manger les animaux? Il écrit notamment : «Si le fait de contribuer à la souffrance de milliards d’animaux qui mènent une vie misérable et meurent très souvent de façon horrible n’est pas motivant, qu’est-ce qui le serait?»
Selon Schachar Orenstein, les statistiques sur le nombre de juifs qui deviennent végétariens sont difficiles à trouver. Toutefois, un rapport récent de chercheurs américains révèle que le nombre de végétaliens aux États-Unis serait passé de 4 à environ 20 millions de personnes entre 2014 et 2017.
La table ronde est le fruit d’une collaboration interdisciplinaire originale entre des chercheurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses et de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation. Cette activité s'est tenue en préambule d’une école d’été et d’un colloque partageant le titre Saveurs divines: religions, spiritualités, idéologies et nourritures. L’école d’été et le colloque exploreront de façon plus large le rapport à la nourriture dans diverses traditions religieuses et spiritualités, avec des questions comme les enjeux identitaires des normes alimentaires religieuses, le partage de nourriture comme impératif religieux par les actions caritatives, la pratique du jeûne confessionnel et ses conséquences physiologiques, et la façon dont religions et spiritualités envisagent la production agricole et le rapport aux animaux.