
Le réalisateur français Michel Hazanavicius, sur le campus le 19 octobre
— Nadeer Djebar
En blouson de cuir et espadrilles vertes, Michel Hazanavicius s'est pointé au pavillon Louis-Jacques-Casault le 19 octobre en après-midi. Le réalisateur français est venu donner une classe de maître à plus d'une centaine d'étudiants au certificat et au baccalauréat en cinéma. En matinée, plusieurs d'entre eux avaient visionné son film Coupez!, remake d'un film japonais sur les dessous chaotiques du tournage d'un film de zombies de série Z, au cinéma Le Clap. La comédie, choisie pour ouvrir le Festival de Cannes au printemps, arrive en salle ces jours-ci.
«C'est la première fois qu'un cinéaste qui a gagné l'Oscar du meilleur réalisateur [The Artist] vient à l'Université Laval pour s'adresser aux étudiants», a lancé Jean-Pierre Sirois-Trahan, directeur du programme de cinéma, quelques minutes avant l'arrivée du maître dans son cours.
Durant une heure, Michel Hazanavicius, aussi connu pour deux chapitres de la série OSS 117, a démystifié son œuvre et son métier. On a appris qu'il n'avait pas étudié le cinéma, mais était passé par une école d'art. Que déjà, à l'époque, il aimait faire du détournement, soit «prendre quelque chose d'existant et d'en faire quelque chose d'autre».
Avec Coupez!, relecture du long métrage japonais One Cut of the Dead, il n'a pas essayé de tout cacher, de tout réinventer par rapport à l'original, un «film d'étudiants, brillamment pensé, adapté d'une pièce de théâtre». «Je l'ai mis au centre de mon film. J'ai décidé de garder tout ce qui marchait et de ne pas faire de changement pour changer.»
Il s'est toutefois permis un ajout et un clin d'œil. Son personnage principal, un réalisateur français incarné par Romain Duris, fait le remake d'un film japonais lui-même. «J'ai intégré mon truc à moi», dit-il. Et pour le gag, les acteurs français «se trimbalent avec des prénoms japonais».
Plan-séquence et sang qui gicle
Cette production, découpée en trois actes, suit la construction d'origine, avec une «accélération cardiaque». Elle dévoile son intrigue et son humour en crescendo, débutant avec l'irruption d'«authentiques» morts-vivants sur le plateau d'un film de zombies à petit budget, qui doit être réalisé en plan-séquence, soit une seule prise sans coupure de caméra, pour une diffusion en direct.
Pour les étudiants en cinéma, une question brûlait les lèvres: «Est-ce que la première partie est véritablement un plan-séquence»? «On a répété cinq semaines et elle a été tournée comme un plan-séquence à chaque fois, donc la réponse est oui», a répondu le réalisateur. Il y a quand même des points de montage pour mettre en valeur les acteurs, a-t-il précisé, mais pas énormément, parce que les éclaboussures de sang ne sont jamais les mêmes d'une prise à l'autre.
Dans cette production de 4 millions d'euros, une partie du budget est d'ailleurs allée aux costumes, au maquillage et aux effets d'hémoglobine et autres fluides corporels, par des spécialistes en la matière.
Michel Hazanavicius n'est pas un puriste et ne voue pas un culte au plan-séquence, comme le font certains réalisateurs. «Je n'ai pas de dogmes», répétera-t-il à quelques reprises.

Dans les coulisses du tournage du film de zombies, tout semble vouloir virer à la catastrophe.
— LES FILMS OPALE
Dans son pari d'imbriquer un film et le tournage de ce film dans son propre film, tout ne s'est pas déroulé en simultané dans la réalité. Ce qui aurait été impossible. «À moins d'avoir des caméras invisibles. C'est une grosse chorégraphie», lance le réalisateur, qui s'est entouré d'une équipe de tournage d'une quarantaine de personnes devant se déplacer d'un côté à l'autre pour laisser le champ libre.
Le lieu du tournage est un personnage en soi, a souligné le professeur Sirois-Trahan. Il s'agit d'un hippodrome des années 70 désaffecté, trouvé aux premiers jours de repérage. «L'urbex, ça fait des bons décors», a commenté Michel Hazanavicius, à propos de cette activité clandestine qui consiste à visiter des lieux abandonnés (contraction des mots anglais urban exploration).
Sujet: le cinéma
«Le cinéma est toujours un peu le sujet de mon travail», a reconnu le réalisateur, en répondant à une autre question.
Dans le mélodrame romantique The Artist, mettant en vedette Jean Dujardin et sorti en 2011, c'est le format muet noir et blanc qui l'intéressait. «Ça faisait au moins 10 ans que j'avais envie de le faire», dit-il. Primo par égoïsme, parce qu'il adore les réalisateurs qui viennent du muet. «Ils font leur métier, ils ne s'occupent pas des dialogues, ils racontent leur histoire en images.»
Secondo pour partager son expérience de spectateur de films muets de la grande époque de 1924 à 1928, avec Sunrise de Murnau ou Underworld de von Sternberg. «Je trouve que la manière dont vous vivez, dont vous recevez l'histoire d'un film muet, la manière dont vous êtes actifs, est géniale. Vous vous rapprochez complètement alors même que c'est du noir et blanc, alors même qu'il n'y a pas de son, alors même que l'histoire se passe il y a très longtemps. Je trouve que vous vous impliquez beaucoup plus.»
— Michel Hazanavicius, sur son amour du film muet
Dans la série OSS 117, mettant en vedette l'espion campé encore une fois par Jean Dujardin, il y a aussi ce regard sur le cinéma, sur l'œuvre d'Hitchcock, sur les nanars des années 60. «Mais ce sont des couches que je rajoute les unes sur les autres. Les OSS sont aussi des films politiques sur les rapports hommes-femmes, sur les rapports du Français à ses ex-colonies. Et il y a une autre couche de comédie pure et dure.»
Michel Hazanavicius a aussi fait un film biographique sur le réalisateur Jean-Luc Godard, Le redoutable. Intouchable dans la communauté des cinéphiles, sorte de dieu vivant, il n'était pas un homme sympathique, dit-il. Dans son récit, il n'apparaît pas sous un jour très héroïque.
«En revanche, j'ai essayé de trouver un équilibre. J'utilise tout le temps des motifs très godardiens. Le film est en train de lui dire: les formes que tu as inventées sont magnifiques, sont libres, tu as été un grand artiste. Mais moi, ce que je raconte de l'autre côté, c'est qu'il était quand même, mettez le mot que vous voulez, un peu un con chiant.»
Direction d'acteurs
Michel Hazanavicius se décrit comme un réalisateur qui fait ses devoirs, qui ne fait pas attendre sur un plateau, qui est ouvert à une meilleure idée. «J'essaie toujours que l'acteur soit en confiance, parce qu'un acteur en confiance nous en donne plus», a-t-il constaté. En rigolant, il affirme avoir beaucoup appris sur la direction d'acteurs… avec le chien, dans The Artist.
Mais ultimement, ce qui compte pour lui, c'est le moment de la prise d'image et il met tout en œuvre pour que la magie opère. Son client reste le spectateur.
Le réalisateur reconnaît ne pas avoir tendance à féliciter sur un plateau de tournage. Il raconte que sa femme Bérénice Bejo (Nadia/Natsumi, la maquilleuse dans Coupez! et muse dans plusieurs films), passe derrière et parsème des mots d'encouragement. La dernière partie de Coupez! est d'ailleurs un coup de chapeau aux artisans du cinéma et à ce gros travail d'équipe. «Le film est une manière de leur dire merci.»
A-t-il un conseil aux futurs réalisateurs ou réalisatrices dans la salle? «Ayez de la chance!», a-t-il lancé, tout en ajoutant adorer ce métier. Il y a quelque chose de «très satisfaisant et valorisant», selon lui, dans le fait de fabriquer une histoire, dans tous ses aspects: son, image, jeu, texte, lumière, décor, costume, cadre…
Le réalisateur est aussi le «centre nerveux d'une équipe». «C'est à la fois un sport collectif et à la fois un truc très solitaire. Quand vous sortez un film, vous êtes un peu tout seul.»
Vous noterez qu'au générique apparaît Simone Hazanavicius. Elle interprète Romy, la fille du réalisateur joué par Romain Duris, vraie fille du réalisateur Michel Hazanavicius, qui rêve à son tour d'être réalisatrice dans le film et dans la vie. Voilà encore un effet miroir, plus symbolique celui-là.