De nombreux automobilistes pourraient témoigner, l'apprentissage de la conduite peut être une expérience un brin angoissante. Imaginez lorsqu'il s'agit de personnes en situation de handicap. Les défis auxquels se heurte cette clientèle sont aussi multiples que diversifiés.
«D'abord, l'idée de suivre un cours de conduite n'est pas aussi intuitive chez les personnes avec des incapacités que chez ceux qui n'ont pas de besoins particuliers. La plupart doivent s'inscrire dans une école de conduite régulière, qui n'est pas adaptée à leurs besoins. S'ajoutent à cela d'autres défis, comme la stigmatisation - plusieurs n'osent pas s'inscrire de peur que leur demande soit tournée au ridicule – et la difficulté d'avoir accès à des véhicules adaptés pour se pratiquer à l'extérieur de l'école», énumère Adam Fahmi.
Pour son mémoire de maîtrise en psychologie, cet étudiant maintenant inscrit au doctorat s'est penché sur le cas de l'École de conduite du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (CIUSSS-CN). Unique au Canada, cet établissement offre un programme adapté aux personnes ayant une déficience intellectuelle, un trouble du spectre de l'autisme, une déficience physique ou des troubles développementaux du langage. Outre les instructeurs de conduite, il réunit une équipe interdisciplinaire de professionnels en ergothérapie, en neuropsychologie, en travail social et en éducation spécialisée.
Adam Fahmi a mené des entrevues avec 71 participants du programme, soit 28 femmes et 43 hommes âgés de 15 à 56 ans, en plus d'étudier leurs dossiers médicaux et de conduite automobile. Les questions portaient notamment sur l'expérience d'apprentissage, les comportements au volant et les habitudes de déplacement. Le but était de mieux comprendre le profil des gens inscrits à l'École de conduite, ainsi que les aspects cognitifs qui pourraient aider à mieux prédire le succès ou l'échec du programme.
En plus de son mémoire, qui a fait l'objet d'une communication au 89e Congrès de l'Acfas, un rapport avec les résultats de recherche a été remis à l'École de conduite du CIUSSS-CN. «L'École de conduite souhaitait à la fois améliorer le processus d'accompagnement de l'usager et de sa famille, mieux outiller les instructeurs et adapter ses services à une clientèle qui devient de plus en plus diversifiée», explique Adam Fahmi.
Des 71 participants, 48% ont réussi le programme de conduite et 7% l'ont échoué, les autres ayant abandonné les cours ou ne les ayant pas encore terminés. «La perception que la personne a de ses propres capacités joue un rôle important dans la réussite ou l'échec du programme. Certains des participants avaient un pronostic plutôt sombre et des chances de réussite peu élevées à priori, mais ils ont finalement obtenu leur permis de conduire», dit celui qui a été touché par plusieurs témoignages récoltés.
En analysant une myriade de données cognitives et neuropsychologiques dans les dossiers médicaux, Adam Fahmi a constaté que «comparativement aux participants ayant échoué ou interrompu le programme de conduite, ceux l'ayant réussi démontrent un meilleur fonctionnement cognitif dans le domaine attentionnel et une meilleure performance relative au fonctionnement cognitif global pour l'attention, les fonctions exécutives et la mémoire de travail. Pour l'instant, il est difficile de savoir comment les domaines cognitifs se traduisent en performance sur la route. Ces résultats ouvrent la porte pour d'autres études [afin de creuser davantage la question]. C'est sans doute l'une des plus grandes contributions du projet.»
Pour l'étudiant, il ne fait nul doute que les écoles de conduite devraient s'inspirer du programme créé par le CIUSSS-CN. «La conduite automobile est une étape importante de la transition vers la vie adulte. Pour plusieurs, elle facilite l'accès au travail, aux loisirs et aux rassemblements sociaux. La plupart des participants interviewés qui ont reçu leur permis s'en servent de façon quotidienne. Le programme a eu de nombreuses retombées positives dans leur vie. Chez la grande majorité des participants, la satisfaction à l'égard du programme est très élevée.»