Mushuau-nipi est le nom d’un site ancestral autochtone, un lieu de rencontre et de partage millénaire situé aux abords de la rivière George, à 250 kilomètres au nord-est de Schefferville, en pleine toundra dans la partie nordique du Québec. Entre le 14 et le 19 septembre 2021, un séminaire organisé conjointement par la Corporation du Mushuau-nipi et la Chaire de recherche du Canada en patrimoine et tourisme autochtones de l’Université Laval s’est tenu à cet endroit accessible uniquement par hydravion. Pendant six jours, 20 participantes et participants ont partagé leurs réflexions sous une grande tente traditionnelle innue. Il y avait des membres des communautés innue, atikamekw et wendat, ainsi que des professeurs, des professionnels et des étudiants principalement de l’Université Laval. La rencontre s’est déroulée sur le thème «Rivières et relations».
«Ce séminaire nordique visait à ouvrir un dialogue sur les rivières en tant que patrimoine culturel-naturel autochtone, explique Caroline Desbiens, professeure au Département de géographie et titulaire de la Chaire. L’objectif était de réfléchir ensemble à la manière dont on pourrait développer, comme chercheurs, étudiants et membres de communautés autochtones, une approche qui présenterait les grandes rivières nordiques d’abord comme des milieux de vie pour les peuples du Nord et pas uniquement comme une ressource naturelle.»
Le Mushuau-nipi, «le Pays sans arbre», est le foyer culturel de la nation innue depuis près de 8000 ans. Lieu vital dans l’histoire des Innus et des Naskapis du Québec et du Labrador, l’endroit est situé sur la passe migratoire du troupeau de caribous de la rivière George. Ce site millénaire d’échange et de partage est un lieu d’exception.
«Il est beaucoup ressorti des échanges que les rivières sont vivantes, que ce sont des êtres de relation, souligne-t-elle. Il faut essayer de s’imaginer une conception d’une rivière comme une entité vivante qui a besoin de l’humain, comme l’humain a besoin d’elle. C’est ça le patrimoine autochtone par rapport aux rivières: il y a une grande dimension immatérielle.»
Réactualiser les noms de lieux autochtones
Un des sujets discutés durant le séminaire portait sur la réactualisation des noms de lieux autochtones. Selon la professeure, réinscrire le territoire comme un ensemble de milieux de vie autochtones passe par le retour à cette toponymie. «Si on veut revaloriser le patrimoine autochtone territorial, affirme-t-elle, il faut revaloriser les noms de lieux autochtones.»
Caroline Desbiens rappelle que Louis-Edmond Hamelin, le géographe de l’Université Laval créateur du terme «nordicité», a écrit au sujet du site du Mushuau-nipi. «Ce mot noble, écrivait-il, a été utilisé par une civilisation qui s’est adaptée au territoire au fil du retrait des glaciers.»
«Mushuau-nipi, dit-elle, est le nom originel de ce lieu. On pénètre avec lui dans une profondeur historique vraiment imposante. En ce sens, les Innus ont été les premiers à avoir habité et humanisé ce territoire et à s’y être adaptés. Nous avons perdu la pleine conscience de cet héritage parce qu’on a nié la présence autochtone avec le projet colonial de remplacer une culture millénaire par une culture nouvelle. Avec le développement hydroélectrique, le discours officiel véhiculait l’idée que les grandes rivières nordiques étaient inutilisées, inhabitées.»
Au Québec, il est couramment admis que les rivières constituaient les «autoroutes» des Premiers Peuples dans le passé. «Mais quand on se déplace, poursuit-elle, il faut savoir qu’il faut s’arrêter, se reposer. Donc, les rivières sont réellement des maisons, tout le territoire est une maison où les autochtones viennent en contact intime avec tout le réseau hydrographique qui fournit à la fois la nourriture, le repos et la rencontre. Les familles innues et naskapi se rencontraient au Mushuau-nipi.»
Les activités de portage faisaient partie des longs déplacements sur les cours d’eau. L’embarcation était retirée de l’eau, transportée à pied et remise à l’eau. Les portageurs enjambaient les bassins versants, créaient des points de rassemblement et de rencontre aux noeuds des réseaux hydrographiques, avant de poursuivre leur chemin.
«Ces noyaux de rencontre entre le territoire et l’humanité, entre la rivière et le portageur, ont été la base de nos discussions sur le patrimoine des rivières, indique la professeure Desbiens. Les jeunes Innus nous ont parlé de l’importance de se réapproprier leur patrimoine culturel et naturel par la pratique du portage. Ils veulent retrouver la relation qu’avaient leurs ancêtres avec ces entités vivantes que sont les rivières. Ils veulent la revitaliser en retournant sur les chemins de portage, notamment. L’expérience du territoire passe par le canotage, le portage et la marche. Cela dit, se réapproprier sa culture comprend une part de responsabilité envers les lieux qui ont soutenu les ancêtres au fil des générations. Il y a des lieux sacrés comme il y a des animaux sacrés.»
Il y a une dizaine d’années, la professeure s’est rendue pour la première fois au Mushuau-nipi pour participer à un séminaire nordique sur le caribou. Cet été, elle y retournera pour assister à un séminaire sur les gardiens du territoire.
Visionner une vidéo sur le séminaire ayant pour thème «Rivières et relations"