Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) présente depuis le 24 mars une exposition mémorielle inspirée de l’épidémie de tuberculose ayant sévi au Québec durant la première moitié du 20e siècle. Cette maladie infectieuse principalement pulmonaire est considérée par les historiens comme l’une des principales causes de mortalité au Québec durant cette longue période. En l’absence de vaccins et de médicaments efficaces, le gouvernement du Québec, pour combattre le fléau, a fait construire une douzaine de sanatoriums, principalement loin des villes. C’est l’histoire de ces lieux de soins particuliers et de leurs patients que raconte l’exposition Guérir. L’expérience du sanatorium.
«Notre exposition n’est pas sur la maladie elle-même, mais sur l’expérience humaine de cette maladie, explique la commissaire Énya Kerhoas. Cette dimension constitue le cœur de l’exposition qui se veut un devoir de mémoire. La tuberculose était un drame, mais ceux et celles qui se retrouvaient en ces endroits faisaient preuve d’une grande résilience. C’est cette expérience sensible que révèlent les mémoires d’anciens tuberculeux, notamment Ida Archambault. Dans un enregistrement sonore, celle-ci raconte son quotidien au sanatorium de Mont-Joli. Elle parle de sa relation avec les religieuses soignantes et les autres malades. Elle décrit les soins reçus, ses repas et autres aspects du quotidien.»
L’exposition s’inscrit dans le cadre de l’Alcôve-école, une collaboration entre le MNBAQ et l’Université Laval visant à offrir un lieu d’exploration professionnelle en muséologie. Deux étudiantes, Énya Kerhoas et Léonie Théberge, la première inscrite au diplôme d’études supérieures spécialisées en muséologie et maintenant diplômée, la seconde inscrite à la maîtrise en design, ont travaillé un an comme stagiaires au musée, sur la conception et la réalisation de cette exposition qui tiendra l’affiche jusqu’en février 2023. Durant leur stage, les étudiantes ont reçu l’encadrement de quelques personnes clés du musée, notamment Anne-Marie Bouchard, conservatrice de l’art moderne et Marie-France Grondin, designer.
«Ce sujet absolument fascinant m’a passionnée», affirme Énya Kerhoas. Pour sa part, Léonie Théberge parle d’un des plus grands apprentissages qu’elle a pu faire au courant de ce stage en scénographie. «Nous avons, dit-elle, toujours gardé une ouverture à l’évolution de notre propre concept. Une exposition est le fruit de plusieurs regards distincts qui s’approprient et font vivre l’histoire que nous tenons à révéler grâce à des œuvres, des objets et des archives qui n’ont jamais été placés dans un même environnement auparavant.»
Une nouvelle vie pour les patients
Le concept de sanatorium venait d’Europe. Il reposait sur le grand air, une diète soutenue, un bon moral et un repos absolu. À cela, il faut ajouter des exercices contrôlés pour renforcer le corps. Après leur diagnostic, les patients étaient envoyés au sanatorium, à la fois pour être soignés adéquatement et pour les isoler par crainte de contagion. Commençait alors une nouvelle vie pour eux, loin de leurs proches et de leurs occupations quotidiennes. La durée de leur convalescence pouvait varier de quelques semaines à quelques années. À l’intérieur, il leur fallait assimiler une microculture faite de règlements, de coutumes, même d’un langage, et ce, dans un lieu et parmi une population distincte du reste du monde. Depuis les années 1950, les sanatoriums ont perdu leur raison d’être avec l’arrivée et la grande efficacité de la vaccination et des traitements antibiotiques.
L’exposition occupe une superficie de 50 mètres carrés. Elle se déploie sur trois murs présentant chacun un thème, soit la stigmatisation liée à la maladie et les lieux de soins, le défilement du temps et la solitude, puis les communautés qui se rattachent au sanatorium.
Le visiteur découvrira une trentaine d’œuvres et d’objets, soit des toiles d’artistes et des photos choisies à même la collection du Musée, et des artéfacts tels que appareils médicaux, radio, ensemble de couture, crachoir et thermomètre. Ces objets proviennent du Monastère des Augustines de Québec. Parmi les photos fournies par cet établissement, mentionnons celle prise en 1954 au sanatorium de Roberval. On y voit une religieuse augustine jouant au billard entourée de plusieurs patients masculins. Certains sont en robe de chambre, d’autres portent un costume-cravate. La recherche documentaire a également permis de trouver des traductions de phrases en inuktitut et de la correspondance en cette langue.
«Afin de comprendre la réalité des malades, nous avons entrepris une sélection d’objets médicaux, d’objets et d’archives qui témoignent du quotidien et d’œuvres qui interprètent des sentiments pouvant être vécus en étant au sanatorium, comme l’isolement, l’ennui et l’impuissance», explique Léonie Théberge.
Énya Kerhoas a été surprise de découvrir les liens entre différentes artistes, notamment Ozias Leduc et Alfred Pellan, et la maladie. «Il faut dire que la tuberculose touchait tout le monde, de près ou de loin», rappelle-t-elle.
L’enfant malade, une toile de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté peinte en 1895, illustre cet intérêt des artistes de l’époque pour ce problème de santé publique. «Cette scène familiale empreinte de gravité montre un adulte au chevet d’un enfant alité, poursuit-elle. L’intérieur est à la fois modeste et magnifique. Tout est en détail et en émotion. En choisissant cette œuvre, nous voulions montrer que l’on soignait les tuberculeux à domicile avant la construction des sanatoriums.»
La recherche documentaire dans la collection du Musée a permis de découvrir une toile de Joseph-Charles Franchère intitulée Sainte-Agathe. Réalisée au début du 20e siècle. Cette œuvre montre le village de Sainte-Agathe-des-Monts depuis la colline où a été inauguré le premier sanatorium au Québec en 1908.
En voulant évoquer l’espace du sanatorium, les deux étudiantes se sont inspirées de certaines qualités architecturales et matérielles présentes dans ce lieu de soins, comme son aménagement aéré et spacieux et un environnement qui semble propre et ordonné. Elles ont aussi tenu compte de la présence de mobilier du 20e siècle et de l’importance de l’apport de la lumière et des percées visuelles sur le paysage. «Afin de pallier aux limites spatiales de l’Alcôve-école, souligne Léonie Théberge, nous avons réussi à obtenir un deuxième lieu pour l’exposition. Dans ce grand espace fenestré, l’objectif était de faire faire une activité de contemplation aux visiteurs comme il se faisait sur les galeries de cure extérieures des sanatoriums. Une image d’archive agrandie sur le mur de fond crée un effet de perspective à la pièce, comme si le visiteur se présentait sur une telle galerie.»