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Il y a autant de façons de vieillir qu'il y a de personnes qui vieillissent. Faire abstraction de ce fait et réduire les personnes âgées à quelques caractéristiques stéréotypées peut mener à l'âgisme hostile ou à l'âgisme de compassion, deux forces qui érodent la liberté, le libre arbitre et les droits des personnes âgées.
Voilà quelques-unes des idées qui se dégagent de la table ronde «Vieillir en 2022 quelles significations?», présentée par le Vice-rectorat aux affaires externes, internationales et à la santé de l'Université Laval. Cette activité a eu lieu le 17 mai sur le campus, dans le cadre de la rencontre Vivre et vieillir à Québec, organisée par Vitam – Centre de recherche en santé durable.
Aline Charles, professeure au Département des sciences historiques et spécialiste de l'histoire de la vieillesse, a d'abord rappelé qu'au Moyen-Âge, la plupart des gens ne connaissaient pas leur propre âge. «Historiquement, il n'y a pas d'âge qui fixe le début de la vieillesse. Au 18e siècle, quand les États ont voulu avoir un portrait plus précis de leur population afin de connaître le nombre d'hommes qui pourraient prendre les armes en cas de guerre, ils ont établi l'âge limite à 60 ans. À cette époque, cet âge correspondait à un stade de la vie beaucoup plus avancé que maintenant. La proportion de 60 ans et plus, ou de 65 ans et plus, dans la population est devenue une norme sociale de vieillesse qui s'est cristallisée, qui a perduré et qui a été utilisée dans les politiques sociales qui sont apparues par la suite.»
Au Québec, la loi définit clairement ce qu'est la jeunesse, a rappelé Christine Morin, spécialiste de la protection des droits des personnes âgées à la Faculté de droit. Ce n'est pas le cas pour la vieillesse. «La Charte des droits et libertés protège les personnes âgées contre l'exploitation, mais elle ne précise pas quel est cet âge. Du côté des tribunaux, on définit la personne âgée comme étant une personne d'un âge plus avancé. Si le législateur et les tribunaux sont si prudents, c'est peut-être parce que la réalité des personnes âgées est très variée. On ne vieillit pas tous à la même vitesse ni dans les mêmes conditions.»
Le professeur Pierre Durand, de la Faculté de médecine, qui cumule 35 ans de pratique en gériatrie, peut en témoigner. «Le vieillissement s'accompagne d'une perte de capacité fonctionnelle qui varie grandement selon les personnes. Éventuellement, le temps fait son œuvre et le corps de chaque personne finit par moins bien fonctionner. Certains entendent mal les conversations dans les réunions de famille. D'autres ont une moins bonne vue, ce qui rend la conduite automobile plus risquée. Les personnes âgées peuvent encore accomplir leurs rôles sociaux, mais avec des limitations fonctionnelles. Il peut alors s'opérer un glissement rapide vers l'exclusion des personnes âgées de certaines activités sociales.»
Charles Fleury, spécialiste du rapport à l'emploi dans les différents âges de la vie au Département des relations industrielles, a rappelé que le marché de l'emploi était un terreau fertile pour les préjugés qui tendaient à exclure les travailleurs âgés. «On disait qu'ils coûtaient plus cher, qu'ils étaient moins compétents et moins productifs et qu'ils étaient réticents aux changements. Ces croyances ont été démenties. Avec la pénurie de main-d'œuvre, on assiste même à un mouvement inverse: on leur reconnaît de nombreuses qualités et on les incite à rester sur le marché du travail plus longtemps. Cette injonction pourrait pousser des travailleurs à prolonger leur vie professionnelle, à condition qu'ils puissent le faire à un rythme différent, à temps partiel notamment, et que les règles fiscales ne soient pas à leur désavantage.»
Il faut se méfier de tous les mythes et préjugés qui touchent les personnes âgées, ont insisté les quatre panélistes. Et cela vaut pour toute les formes d'âgisme, a souligné la professeure Morin. «Il existe un âgisme hostile, qui conduit à l'exclusion des personnes âgées, et un âgisme de compassion ou de bienveillance. Dans certaines familles, on impose son aide et on prend des décisions au nom d'un proche âgé, même s'il est apte à décider pour lui-même et qu'il n'a rien demandé. Les deux formes d'âgisme briment les droits des personnes âgées.»
La vieillesse, a rappelé Pierre Durand, est un concept très subjectif. «Si vous demandez à un adolescent, à un étudiant universitaire ou à un travailleur de 45 ans "À quel âge est-on vieux?", il y a de bonnes chances que chacun vous donne un chiffre qui correspond à une quinzaine d'années de plus que son âge. Je ne fais pas exception. Je ne me sens pas vieux. C'est dans le regard des autres qu'on vieillit. Quand il est question de soi, on ne se voit pas vieillir. On se voit vivre.»