
La majorité des jeunes sans religion d’aujourd’hui dit avoir de l’intérêt pour une vie spirituelle. Dans leur esprit, ils séparent religion et spiritualité. Pour eux, la spiritualité est le contraire de la religion. Elle est relativement simple, elle est axée sur une vie non matérielle et elle induit le sentiment de liberté, le sentiment de choix.
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Quel est le système de sens des jeunes Québécoises et Québécois qui se disent sans appartenance religieuse aujourd’hui? Cette question a constitué le point de départ d’un projet de recherche financé par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture, lancé en 2019 par un professeur et trois étudiantes aux cycles supérieurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. L’enseignant est Jean-Philippe Perreault, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement «Jeunes et religions». Les étudiantes, rattachées à cette chaire, sont Marie Lenoble, Élisabeth Sirois et Mélanie Tremblay. Ensemble, ils ont travaillé à l’élaboration du questionnaire et à l’analyse des résultats, terminée depuis peu.
«Une religion tend à domestiquer l’angoisse de vivre, un de ses enjeux étant le contrôle du temps avec des fêtes et des rites de passage, rappelle le professeur Perreault. Les jeunes sans religion vivent dans un monde qui a minimalement du sens. Comment se construit le sens de l’aventure humaine dès lors qu’elle est sans religion? Notre enquête a exploré ce questionnement avec une génération qui se perçoit comme engagée et qui évolue dans un rapport au temps qui est relativement court. On pourrait penser qu’ils sont dans un rapport conflictuel avec la religion. Ils disent plutôt que la religion n’est pas pour eux, mais ils s’y intéressent d’un point de vue culturel et historique. Ils sont très intéressés par le pluralisme et la liberté de conscience, donc par une espèce d’aventure.»
Les entretiens semi-dirigés d’une durée de plus de deux heures ont été réalisés auprès de 38 personnes de 20 à 32 ans, des hommes et des femmes en nombre égal de la région de Québec, en forte majorité d’ascendance canadienne-française et surreprésentés en ce qui concerne les études et les diplômes universitaires. Les participantes et les participants ont parlé de sujets tels que leurs croyances, leurs valeurs, leurs normes, leur vision de la vie et de la mort. Ils ont d’abord raconté un événement marquant pour ensuite aborder des thèmes particuliers comme l’expérience d’être jeune, l’idéal personnel de vie, la spiritualité.
«L’analyse des données nous a permis d’identifier quatre trajectoires réparties en deux catégories que sont les “désaffiliés” et les “non-affiliés héréditaires”, explique Jean-Philippe Perreault. Une majorité de répondants se retrouve parmi les désaffiliés tranquilles. Ces derniers ont été soit socialisés dans un environnement plus ou moins religieux, soit ils ont délaissé leur contact avec la religion de manière graduelle et souvent involontaire. On pourrait penser qu’ils auraient coché la case “catholicisme” relativement à l’appartenance religieuse, au recensement fédéral il y a 10 ans, et qu’au récent recensement, ils auraient plutôt coché la case “sans appartenance religieuse”.»
La seconde trajectoire la plus fréquente de l’échantillon regroupe des jeunes non-affiliés «héréditaires», qui n’ont pas reçu d’héritage ou d’enseignement religieux, dans leur famille et à l’école, ou qui sont plus ou moins familiers avec la culture religieuse.
Une société québécoise particulière
On ne peut parler des jeunes Québécois sans religion sans aborder la particularité de la société québécoise sur le plan religieux. Jean-Philippe Perreault parle d’une singularité qui peut sembler paradoxale. «Une majorité de Québécois a maintenu une appartenance religieuse au catholicisme depuis la Révolution tranquille, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, dit-il. Pendant la même période, on a observé une baisse drastique de l’assistance aux célébrations religieuses. Du côté des sacrements, l’effritement sera beaucoup plus lent. Il faudra attendre le tournant des années 2000 pour assister à une chute. De 1990 à 2019, le nombre de baptêmes est passé de 70 000 à 23 000, selon les données de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec. Alors que la pratique dominicale est très faible, l’appartenance religieuse était relativement forte jusqu’à tout récemment. Ce catholicisme culturel fait toujours partie de l’identité nationale. Ce concept, fait de religiosité diffuse, sans engagement en Église et assez distant des normes, compose encore aujourd’hui l’imaginaire collectif.»
Un sondage CROP effectué en 2014 révélait que les 18-30 ans sans religion au Québec étaient autour de 18%. En 2001, selon Statistique Canada, ils étaient 5,8%. «Au Canada, poursuit le chercheur, les 18-30 ans sans religion seraient autour de 29%. En Europe, durant la période 2014-2016, les 18-30 ans sans religion atteignaient 91% en République tchèque, 70% au Royaume-Uni et 64% en France.»
Selon European and World Value Surveys, le pourcentage de personnes non religieuses, dans la population en général durant la période 2017-2020, s’élevait à 44,3% au Canada, à 58,2% en France et à 61,5% au Royaume-Uni.
Une religion passéiste opposée au progrès
Les témoignages des participants à l’enquête font ressortir des représentations de la religion à la fois nombreuses et variées. Parmi les représentations relevant de l’Histoire ou de l’imaginaire collectif, il y a notamment celle de la religion passéiste opposée au progrès et à la rationalité scientifique ainsi que celle de la religion comme système dogmatique qui contrevient à la liberté de penser.
Cette absence d’attachement religieux, les sans religion la justifient, entre autres, comme une non-nécessité étroitement liée à une perception d’inutilité de la religion.
Dans leur rapport au sens, les participants ont répondu à des questions relatives aux modèles de réussite, aux conceptions d’un monde meilleur et aux idéaux personnels de vie. Ils ont dit puiser le sens dans leur vie notamment dans la philosophie et la pensée critique, la spiritualité, la science et l’expérience personnelle. Ils ont aussi identifié l’expérience personnelle, les valeurs, la question environnementale et la nature comme référents de sens.
«De quoi est fait leur univers? demande le professeur. A contrario, la majorité a dit avoir de l’intérêt pour une vie spirituelle. Dans leur esprit, ils séparent religion et spiritualité. Pour eux, la spiritualité est le contraire de la religion. Elle est relativement simple, elle est axée sur une vie non matérielle et elle induit le sentiment de liberté, le sentiment de choix.»
Quelques questions portaient sur la crise climatique. «Nous avions l’intuition, souligne-t-il, que les répondants voyaient peut-être dans ce phénomène un changement dans leur rapport au temps, dans leur rapport au monde. Comme la fin d’un certain monde, quelque chose de l’ordre d’une eschatologie. On avait sous-estimé l’importance des changements climatiques dans la vie des jeunes sans religion. Ce phénomène devient assez central. Il informe sur le rapport aux autres, sur comment les répondants se projettent dans l’avenir, ce qui laisse croire à une conscience générationnelle, à une identité qui n’envisage plus la vie de la même manière qu’autrefois.»
Les entrevues ont aussi abordé les enjeux d’altérité, soit la question du rapport aux autres. Les modèles économiques, relationnels et sociaux sont jugés dès lors qu’ils sont perçus comme irréalistes, contraignants, insoutenables écologiquement, inégalitaires ou ayant des impacts sur la santé mentale, comme l’anxiété sociale de performance.
Trois grandes institutions occupent une grande place dans le discours des jeunes interrogés: la religion, la politique et la science. De manière générale, ils refusent l’autorité religieuse à cause d’une impression d’impossibilité de remise en question de cette autorité, à cause du cadre rigide difficile à faire évoluer avec les enjeux du moment et en raison d’une incompatibilité avec leurs principes.
Le rapport à la politique, lui, semble plus ambigu. D’une part, les idées de lenteur, de corruption et de «tradition» sont invoquées comme facteurs négatifs. D’un point de vue plus positif, d’autres participants ont confiance en cette institution, surtout en raison de l’émergence de leaders positifs ou de plus petits partis politiques incarnant le changement et l’espoir au regard d’enjeux comme l’environnement et la justice sociale.
Enfin, la science est probablement l’instance la plus acceptée par les répondants. Elle incarne les idées de progrès, de remise en question et de vérité rationnelle. Plusieurs s’en inspirent dans leur vie quotidienne et ont tendance à accepter son autorité plus facilement.