À en croire certaines mises en scène sur Instagram ou TikTok, les adolescentes et adolescents seraient aujourd’hui hypersexualisés. Vêtements moulants, moues boudeuses, postures suggestives, attraits à peine voilés, les lolitas sont-elles vraiment la norme? Aucunement, selon une étude publiée dans le Journal of Youth and Adolescence par Judith Kotiuga, étudiante au doctorat à l’École de psychologie, et ses deux codirectrices de thèse, les professeures Geneviève Martin de la Faculté de médecine et Maya A. Yampolsky de l’École de psychologie.
Pour connaître les pratiques sexuelles des adolescentes et adolescent ainsi que leurs perceptions à propos de leur propre estime sexuelle, de leurs compétences relationnelles et de leur sentiment d’efficacité face à l’expérience de plaisir sexuel, l’équipe de chercheuses a interrogé 1584 étudiantes et étudiants de 14 à 18 ans, dans 71 classes de 9 écoles secondaires du Québec représentant tous les milieux socioéconomiques.
«Le sondage montre que la majorité des adolescentes et adolescents québécois ont un développement sexuel linéaire», indique Judith Kotiuga. L’étude révèle, en effet, que le développement sexuel des répondants débute généralement par de l’autoérotisme léger (fantasmes, examen de sa propre nudité devant un miroir) et se diversifie peu à peu par des expériences – seul ou avec un partenaire – de plus en plus intimes et érotiques (se masturber, tenir la main d’un partenaire, poser un baiser sur des lèvres, coller un partenaire, caresser des seins ou des fesses, échanger des baisers, se mettre nu devant un partenaire, etc.).
Plus de 98% des répondants rapportent avoir déjà eu une activité autoérotique, alors que près de 75% affirment avoir déjà vécu une forme de rapprochement physique avec une autre personne. Un tiers seulement des jeunes ont eu des pratiques de sexualité orale ou de pénétration vaginale et moins de 3% ont expérimenté des pratiques sexuelles plus marginales comme filmer ses ébats sexuels, avoir une activité sexuelle avec plus d’un partenaire ou faire un échange de couple. De manière générale, la progression des pratiques sexuelles est relativement similaire chez les garçons et les filles, à l’exception de la masturbation et de la consommation de pornographie qui sont plus répandues chez les garçons.
Cette étude dément donc certains mythes concernant l’hypersexualisation adolescente ou les différences entre les genres, ce qui n’étonne pas l’étudiante-chercheuse. «La seule donnée qui m’a un peu surprise, avoue Judith Kotiuga, est la place de la technologie dans la sexualité adolescente. Même si je savais que les pratiques sexuelles assistées par la technologie sont intégrées dans le répertoire sexuel des jeunes, j’avais sous-estimé l’importance de pratiques comme sexter (envoyer des messages à caractère sexuel) et sextier (partager des photos et des vidéos à caractère sexuel).»
Une attitude généralement positive
D’après le sondage, il demeure malgré tout certains stéréotypes de genre dans les perceptions des adolescentes et adolescents. Ainsi, les filles se sentent plus aptes que les garçons à bien négocier leurs rapports relationnels et se croient responsables de la communication dans une relation.
Toutefois, de façon générale, les perceptions de la sexualité varient davantage en fonction de l’âge que du genre des répondants. Chez les adolescentes et adolescents, un peu plus de 15% ont une perception clairement positive de la sexualité – qui tient compte de plusieurs critères tels que l’attitude face au plaisir, le jugement sur son propre attrait physique et l’absence d’anxiété sexuelle –, près de 53% une perception neutre à tendance positive et un peu plus de 10% une perception neutre à tendance négative. «Lorsqu’on analyse plus en profondeur les résultats, on remarque que ceux qui ont une perception clairement positive sont généralement âgés de 17-18 ans, alors que ceux qui ont une perception neutre à tendance négative sont parmi les plus jeunes. À 14 ans, il est tout à fait normal de ne pas avoir beaucoup d’expérience ni une pensée sexuelle très développée. La tendance légèrement négative semble liée à une simple immaturité», explique Judith Kotiuga.
«C’est vraiment agréable de constater que plus de la moitié des répondants ont une perception positive de la sexualité et de leur développement sexuel, ajoute l’étudiante-chercheuse. Nous pensons qu’un sain développement sexuel à l’adolescence va de pair avec une bonne adaptation psychosociale. D’ailleurs, le second volet de notre étude, qui sera publié dans les prochains mois, vise à montrer une corrélation entre les perceptions que les jeunes ont de leurs compétences interpersonnelles et de l’autorégulation de leurs émotions et les bonnes dispositions qu’ils démontrent envers la sexualité.»
Des cours d’éducation sexuelle adaptés à la réalité?
Le développement sexuel est un pan important du passage de l’enfance au monde adulte et la perception positive de la sexualité est encore fragile à cet âge. Pour maintenir cette attitude positive, les jeunes ont besoin d’un solide soutien qui prend en considération l’hétérogénéité des expériences, les rythmes de développement différents et le bien-être par rapport à la sexualité.
«Il importe d'aborder les facteurs qui favorisent des expériences sexuelles positives, tels que le plaisir et le droit à l'exploration. Pourtant, on parle peu de plaisir dans les cours d’éducation sexuelle. En général, les écoles secondaires sont ouvertes à la suggestion d’aborder le sujet, mais elles sont aussi un peu frileuses. Ce n’est pas tous les enseignants qui sont à l’aise de discuter de plaisir sexuel. On devrait peut-être faire appel à d’autres intervenants comme des psychologues, des psychoéducateurs, des infirmiers ou des travailleurs sociaux pour donner les bons outils aux adolescentes et adolescents et les guider vers des pratiques sexuelles positives», affirme Judith Kotiuga.
L’étudiante-chercheuse insiste également sur le fait que vivre des expériences sexuelles positives à l’adolescence permet de favoriser une meilleure santé – non seulement sexuelle mais générale – à l’âge adulte. «Selon moi, dit-elle, la contrepartie est beaucoup plus coûteuse. Si les adolescents n’expérimentent pas et ne progressent pas dans des pratiques sexuelles positives, ça peut affecter à court ou à long terme leur santé psychologique.».
Dans le passé, les cours d’éducation sexuelle préconisaient surtout la prévention des conséquences négatives de la sexualité, comme la grossesse adolescente ou les infections transmissibles sexuellement. Était-ce la bonne approche?
«Aujourd’hui, les recherches montrent que, quand on aborde la sexualité de manière positive, les jeunes ont aussi une sexualité plus sécuritaire. Ils ont moins de relations à risque ou non désirées. On n’a donc pas grand-chose à perdre à miser sur autre chose que les risques», conclut Judith Kotiuga.