A priori, les étoiles dans le ciel et les maladies neurodégénératives dans le cerveau n’ont rien en commun. Cette observation pourrait toutefois changer à la suite des travaux avant-gardistes que mène une équipe composée de chercheurs de l’Université Laval et de l’Université de Toronto. Leur projet de recherche d’une durée de deux ans a été lancé en 2021. Il est financé par l’Institut canadien de recherches avancées, CIFAR en anglais, et par le prestigieux New Frontier for Research Fund. Cet organisme finance des programmes qui se veulent ambitieux, hors de l’ordinaire et intersectoriels.
«Tout a commencé au printemps 2020 à l’occasion d’une rencontre en mode virtuel organisée par CIFAR, qui avait pour but de voir comment la recherche en astrophysique pouvait se rapprocher de la recherche biomédicale, raconte Flavie Lavoie-Cardinal, professeure adjointe au Département de psychiatrie et de neurosciences de l’Université Laval. Je préparais une des conférences d’ouverture que je devais prononcer devant un auditoire composé principalement de gens du domaine de l’astrophysique. J’ai regardé des images de l’espace produites par la chercheuse en astrophysique de l’Université de Toronto qui devait donner l’autre conférence d’ouverture, Renée Hložek, et j’ai réalisé que ces images présentaient des caractéristiques très semblables à celles que nous produisons en laboratoire.»
Selon elle, les deux disciplines scientifiques travaillent sur des signaux difficilement détectables et utilisent des techniques d’intelligence artificielle pour le traitement des images. «Les astrophysiciens, dit-elle, font la détection de phénomènes rares ou anormaux. Dans notre équipe à l’Université Laval, nous voulons détecter des signes précurseurs de deux maladies dégénératives, le parkinson et la sclérose latérale amyotrophique, et ce, bien avant que les patients aient des symptômes. Le but du projet est de détecter les signaux suffisamment à l’avance pour que puisse intervenir la médecine préventive.»
Dans leurs travaux, les chercheurs de l’Université Laval utilisent des microscopes à super-résolution. Ces outils perfectionnés permettent de capturer les structures synaptiques du cerveau avec une résolution 10 fois meilleure que celle d’un microscope optique standard. Ils réussissent ainsi à observer des patterns non visibles et à repérer les anomalies potentielles. Les images obtenues présentent beaucoup de similitudes avec les données que les astrophysiciens trouvent dans les images du ciel obtenues par différents télescopes. Ces images représentent de grands volumes de données desquels les spécialistes extraient des signaux.
Une équipe multidisciplinaire
La rencontre du printemps 2020 a été le point de départ de la formation d’une équipe de recherche. Le financement est arrivé un an plus tard.
Outre la professeure Lavoie-Cardinal, qui est par ailleurs titulaire de la Chaire de recherche du Canada en nanoscopie intelligente de la plasticité cellulaire, les autres chercheurs de l’Université Laval associés au projet sont Martin Lévesque et Chantelle Sephton, tous deux professeurs au Département de psychiatrie et de neurosciences, ainsi que Christian Gagné et Audrey Durand, respectivement professeur au Département de génie électrique et de génie informatique et professeure dans deux départements, celui d'informatique et de génie logiciel et celui de génie électrique et de génie informatique.
«J’interviens avec mon expertise en apprentissage automatique et en vision numérique pour aider au développement et au transfert d’approches à la fine pointe des connaissances en intelligence artificielle, indique Christian Gagné. Nous étudions les techniques d’intelligence artificielle utilisées en astrophysique pour les appliquer à la neuroscience, en particulier pour la détection des signes précurseurs de maladies dégénératives.»
Selon lui, cet échange crée un dialogue très riche entre les deux domaines et offre des perspectives nouvelles sur la façon de faire la recherche et d'utiliser l’intelligence artificielle de part et d’autre. «Les discussions avec une équipe si multidisciplinaire, dit-il, mais travaillant sur des problématiques de recherche qui sont sur plusieurs aspects très proches, ouvrent de nouvelles perspectives et pourront certainement contribuer à un transfert d’idées dans le sens neuroscience vers astrophysique et le développement de nouvelles idées résultant de nos échanges.»
Pour sa part, Audrey Durand insiste sur les méthodes d’intelligence artificielle en jeu. «Ces méthodes, souligne-t-elle, reposent sur l’étiquetage des données par des experts, ce qui peut être très coûteux en temps et en argent. Je contribue à ce projet avec mon expertise en apprentissage actif (active learning) et apprentissage semi-supervisé, pour réduire le temps requis par les experts pour annoter les images utilisées dans l’entraînement de méthodes d’intelligence artificielle.»
Quant à Renée Hložek, elle est professeure adjointe au Département d’astronomie et d’astrophysique de l’Université de Toronto. «Lorsque vous observez le ciel au moyen d’un télescope, vous ne voyez qu’une projection des éclats de lumière les plus brillants, a-t-elle expliqué dans une précédente entrevue. De cette façon, l’astrophysique s’apparente à la microscopie parce qu’on vous présente une échelle nanométrique d’une minuscule cellule à la fois.»
De l’infiniment grand à l’infiniment petit
Le développement d’approches techniques pour voir le fond de l’espace, qui s’appliqueraient aux recherches sur l’infiniment petit dans le vivant, suscite beaucoup d’intérêt de la part de collègues de Flavie Lavoie-Cardinal et de Renée Hlozek. Les étudiants associés au projet, qu’ils soient en optique, en biochimie ou en astrophysique, sont, au dire de la professeure Lavoie-Cardinal, emballés. «Ils travaillent extrêmement bien ensemble, soutient-elle. C’est impressionnant.»
Plusieurs résultats préliminaires dignes d’intérêt ont été obtenus de part et d’autre à ce jour. Par exemple, un étudiant de l’équipe de l’Université Laval a été capable d’utiliser des algorithmes de détection d’anomalies, utilisés en astrophysique, pour évaluer la qualité des images prises sur un microscope. Un autre étudiant, en astrophysique à l’Université de Toronto, a réussi à adapter un algorithme de détection d’événement, qu’il utilisait sur des données spatiales, pour détecter l’activité calcique localisée dans des neurones vivants. «Les résultats sont extrêmement prometteurs, affirme Flavie Lavoie-Cardinal. En six mois, ce qui est très rapide, nous avons pu détecter des événements synaptiques et voir un changement d’état des neurones à l’échelle nanométrique.»