
Léa Clermont-Dion
C'est l'un des tristes constats à tirer des réseaux sociaux: les femmes qui défendent l'égalité des sexes ou qui prennent position sur différents enjeux font souvent l'objet d'insultes ou de commentaires déplacés. C'est pour mieux comprendre la dynamique des discours antiféministes au Québec que Léa Clermont-Dion, auteure et documentariste engagée, a réalisé un doctorat en science politique à la Faculté des sciences sociales. Sa thèse, soutenue en décembre, lui a permis de catégoriser ce genre de messages et de les analyser à travers le prisme de la violence faite aux femmes.
En plus de mener des entrevues avec des spécialistes de la question féministe sur Internet, dont l'Américaine Donna Zuckerberg (la sœur d'un certain Mark Zuckerberg), la chercheuse a scruté les commentaires sous les publications Facebook de trois personnalités publiques. Il s'agit de la politicienne Manon Massé, la journaliste Judith Lussier et la militante Dalila Awada. En tout, ce sont 3000 messages écrits entre 2014 et 2018 qui ont été passés au peigne fin.
Léa Clermont-Dion a constaté que les internautes ont recours à des techniques plus ou moins récurrentes pour s'attaquer aux féministes. «Certains discours font appel à des techniques de disqualification directe, comme les injures sexistes et sexualisantes, les atteintes à l'intégrité physique, les insultes animalisantes ou les accusations de folie. On retrouve aussi du paternalisme, de la banalisation, de la caricature, des accusations de radicalisme. Toutes ces rhétoriques de langage sont unies par l'idée d'invalider le discours féministe dans l'espace public», dit celle dont la recherche a été financée par le programme de bourse d'études supérieures du Canada Vanier.
Elle a aussi constaté que les propos véhiculés au Québec sont fortement influencés par le contenu partagé aux États-Unis. «Le discours antiféministe québécois résonne avec les argumentaires popularisés par la manosphère américaine (un ensemble de communautés en ligne où des hommes se réunissent pour partager leur haine des femmes). Par exemple, les féministes sont souvent accusées de misandrie. Ce terme, utilisé depuis les années 1990 aux États-Unis, émerge de plus en plus chez nous. On voit que les réseaux sociaux favorisent une internationalisation du discours.»
Certes, les réseaux sociaux n'ont pas le monopole du sexisme et de la misogynie. Toutefois, avec leur mécanique de diffusion qui rend certains contenus populaires, ils ont permis de propulser l'antiféminisme à un autre niveau, la violence et les menaces envers les femmes étant devenues monnaie courante. «Avant, les discours antiféministes étaient des contre-discours illicites, voire hérétiques, dans l'espace public traditionnel. Maintenant, ils sont légitimés et se transforment souvent en contenu viral, incluant les discours violents. Il n'y a plus d'échelle morale qui dit ce qu'est un propos acceptable ou non.»
La solution: l'éducation
Outre sa thèse, qui représente cinq ans de travail, Léa Clermont-Dion a coréalisé un documentaire sur le sujet de la cyberviolence, Backlash: Online Misogyny in the Digital Age. Ce film, lié à ses travaux de recherche, sera présenté au cinéma, sur les ondes de Radio-Canada et du Documentary Channel et dans différents établissements d'enseignement.
S'ajoute à cela un atelier de sensibilisation qui sera déployé dans les écoles. Le tout s'inscrit dans une campagne panquébécoise intitulée «Stop les cyberviolences» et créée en collaboration avec la Clinique Juripop grâce au financement du Secrétariat à la condition féminine.
Fort occupée par ces projets, Léa Clermont-Dion n'abandonne pas pour autant son chapeau d'universitaire. Elle entreprend un postdoctorat à l'Université Concordia dans l'équipe du professeur Vivek Venkatesh. «Nous travaillons sur la question de la prévention de la radicalisation. Plutôt que d'accuser ou d'ostraciser les acteurs qui s'expriment en ligne, l'idée est de les éduquer pour qu'ils comprennent quelle est la portée de leurs paroles.»
En d'autres mots, s'attaquer à la source du problème.