Le répertoire des musiques traditionnelles fait partie du Programme de formation de l’école québécoisedepuis 2006. Mais le matériel pédagogique publié en français répond-il aux exigences du programme, aux besoins des enseignants et aux intérêts des élèves? De plus, dans quelle mesure et de quelle façon le patrimoine musical est-il transmis aux enfants du Québec?
Rita Bélisle enseigne les musiques traditionnelles dans une école primaire de la région de Québec. Elle est aussi formatrice au Centre de développement des compétences langagières de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. Il y a quelques semaines, elle a fait la soutenance de sa thèse de doctorat en éducation musicale, une recherche qui s’intitule «La pédagogie des musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs dans les écoles primaires du Québec».
«D’après mes collègues et la Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec, il n’existe pas de statistiques au sujet du pourcentage d’écoles primaires offrant la musique, cela change trop d’une année à l’autre, explique la doctorante. Ils pensent cependant qu’environ 50% des écoles l’offriraient. On trouve davantage les arts plastiques et l’art dramatique, qui demandent moins de budget et qui peuvent être donnés par les titulaires.»
Selon elle, en ce moment des spécialistes en musique répartis un peu partout au Québec enseignent dans des écoles primaires, de façon plus ou moins approfondie, les musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs.
«Ma recherche s’appuie sur un échantillon de 10 enseignants de musique traditionnelle, dit-elle. Je les ai interviewés et observés dans leur travail. La plupart sont des diplômés du baccalauréat en enseignement de la musique. Pour eux, le tradest l’un des styles musicaux qu’ils pratiquent. Les autres enseignants que j’ai étudiés n’ont pas de formation universitaire et ne font que du trad. Ces musiciens ont appris leur art en dehors des circuits classiques et universitaires, en famille, avec des amis, des porteurs de culture ou de manière autodidacte.»
À l’université, les étudiants inscrits au baccalauréat en enseignement de la musique suivent tous des cours pour un instrument principal, souvent un ou plusieurs instruments secondaires.
Selon la chercheuse, les répondants à son enquête sont conscients de promouvoir l’accueil de l’autre et le développement de l’identité culturelle chez leurs élèves au moyen de ces traditions musicales restées vivantes. «Ces traditions, poursuit-elle, ils les apprécient pour leurs qualités pédagogiques, pour l’intérêt qu’elles suscitent et pour leur convivialité. Ces enseignants agissent comme des interprètes et des agents de transmission de la culture, spécialement en ce qui concerne les musiques d’ici.»
Dans le local de musique de l'école, où sont habituellement rangés un grand nombre d’instruments, les enseignants interviewés ont une approche différente l’un de l’autre, notamment parce qu’ils s’adaptent à leur milieu, à leurs groupes, aux instruments qu’ils ont dans leur classe et à leurs propres compétences. Mentionnons qu’avec les tableaux interactifs que l’on trouve maintenant dans la majorité des classes, beaucoup de matériel vidéo est très accessible aux enseignants de musique traditionnelle et à leurs élèves.
En général, dans les écoles primaires qui offrent la musique, on fait usage de xylophones, de métallophones, de flûtes à bec et de petites percussions. «Les flûtes à bec servent aux 2e et 3e cycle, indique Rita Bélisle, mais pas partout. Elles sont achetées par les parents ou prêtées par l’école. De plus en plus d’écoles ont un grand nombre de ukulélés au primaire, parfois des claviers et des guitares.»
Deux projets rassembleurs
La doctorante est à mettre sur pied un spectacle à son école. «Nous en sommes à l’approbation du courriel aux parents, explique-t-elle. Ce projet pourrait attirer une dizaine d’élèves. Ils ont hâte. Nous allons commencer par des chansons du temps des Fêtes, je leur montrerai le chant, des bases de cuillers et de podorythmie, l’accompagnement au piano, éventuellement à la guitare. Je cherche un accordéon diatonique pas trop cher. Il faut que je fasse réviser un violon qui m’appartient et que je prêterai si besoin est.»
Un autre projet de la chercheuse est en cours. Il est centré sur deux élèves hispanophones originaires d’Amérique latine. Ils sont devenus des «mini-profs» en introduisant les autres élèves à leur culture musicale respective. «Pour l’instant, souligne-t-elle, ces élèves ont suggéré deux chansons de Noël en espagnol, entièrement ou partiellement. Ils ont traduit les paroles de l’une d’elles pour la classe et montré la bonne prononciation. Les autres élèves sont réceptifs.»
La littérature scientifique démontre que les musiques traditionnelles contribuent à élargir les horizons culturels des enfants.
Des compétences à acquérir
Dans son approche générale, l’enseignant de musique traditionnelle vise l’acquisition, par ses élèves, de trois compétences disciplinaires: apprécier, interpréter et créer. Le choix d’une compétence dépend du type de répertoire qu’il souhaite faire travailler par ses élèves, du niveau scolaire de ces derniers et des instruments de musique disponibles.
«Pour le chant, poursuit la chercheuse, il faut tenir compte des capacités des enfants qui n’ont pas encore un très large registre. D’ailleurs, l’étendue vocale des chants traditionnels est souvent conforme à leur morphologie. Les chansons traditionnelles destinées aux enfants ont, la plupart du temps, une étendue vocale d’une octave, ce qui correspond à la capacité moyenne d’un enfant du primaire.»
Rita Bélisle insiste sur les qualités pédagogiques des musiques traditionnelles. «Les chansons traditionnelles, dit-elle, ont été conçues pour être faciles à retenir. Souvent les vers se retiennent facilement.»
Dans le cadre de sa recherche, la doctorante a analysé 850 ressources pédagogiques, soit des livres, des partitions, des CD, des DVD et des ressources Internet. Du nombre, 244 comportaient une ou plusieurs pièces de musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs.
«Les ressources en langue française, précise-t-elle, étaient souvent insuffisantes en nombre, en variété et surtout pour représenter les musiques d’ici. Par musiques traditionnelles d’ici, on entend celles des Premières Nations, la musique traditionnelle québécoise et celle des autres provinces canadiennes, ou des cultures fondatrices du Canada, comme la musique acadienne, irlandaise, écossaise.»
Selon elle, la musique traditionnelle québécoise est la moins représentée dans les ressources pédagogiques. «Pourtant, dit-elle, les élèves québécois se sentent valorisés quand on leur présente des pièces tirées de ce répertoire.»
Des recommandations constructives
En conclusion de sa recherche doctorale, Rita Bélisle formule plusieurs recommandations. «La toute première, explique-t-elle, concerne la formation universitaire des étudiants en éducation musicale. Pour améliorer leur préparation à l’enseignement des musiques traditionnelles, davantage de ces musiques devraient être intégrées à leur programme. En ce sens, avec ma directrice de thèse, j’en suis à monter un séminaire sur la formation en musiques traditionnelles pour les étudiants au baccalauréat en enseignement de la musique. Cette formation optionnelle sera accessible aux trois cycles d’enseignement.»
Vient ensuite la recommandation visant à améliorer l’offre de ressources pédagogiques relatives aux musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs, particulièrement celles d’ici. «Les résultats de cette recherche ont montré que les publications actuelles sont lacunaires pour les musiques d’ici et pourraient être améliorées et mieux connues pour les musiques d’ailleurs, écrit-elle dans sa thèse. La sélection devra être variée et significative. Elle devra être préparée en collaboration avec des porteurs de culture, des ethnomusicologues et des pédagogues.»
La doctorante recommande aussi d’instaurer un véritable partage de ressources à l’intérieur d’une communauté collaborative d’enseignants. Ces ressources devraient comporter des collections de vidéos et des informations sur le contexte socioculturel. Chansons significatives ou à thème, du répertoire pour flûte à bec ou pour ensembles Orff, des danses traditionnelles, des jeux ou des activités sur les musiques traditionnelles à faire sur un tableau interactif, un ordinateur ou une tablette, tout cela devrait être proposé dans cette communauté collaborative d’enseignants. Celle-ci pourrait également offrir des sessions pour initier ses membres ou parfaire leur formation dans les musiques traditionnelles proposées.
Une autre recommandation préconise la création d’un réseau de porteurs de tradition mandatés pour aller dans les écoles, à commencer par des représentants des musiques d’ici: musiciens autochtones avec leurs instruments, personnalités du tradquébécois – en violon, accordéon diatonique, cuillers, guimbarde, podorythmie ou gigue –, spécialistes des musiques et des danses acadiennes, irlandaises, écossaises et autres.
«Ce réseau, soutient-elle, pourrait être avantageusement complété par une “instrumenthèque” et une médiathèque où des instruments traditionnels de diverses régions du monde, des films et des enregistrements de musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs seraient disponibles pour des prêts aux enseignants.»
Enfin, Rita Bélisle suggère d’administrer à l’ensemble des enseignants de musique du Québec un sondage sur leurs pratiques pédagogiques relatives aux musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs.