«Je suis arrivée au Québec en été par une journée froide, pluvieuse et venteuse. Le douanier m’a dit: “Bienvenue dans votre pays, le Canada”. Ma vie est ici. Je suis québécoise. Comme musulmane, je porte le voile depuis plus de 20 ans. Mon mari est contre. C’est la seule chose que je n’arrive pas à faire comprendre aux Québécois. C’est mon choix. C’est une partie de moi.»
Zakia Zoukri est originaire du Maroc. Son commentaire figure parmi neuf témoignages réunis dans la zone vidéo de l’exposition Voisins, voisines d’ailleurs présentée par le Musée de la civilisation de Québec jusqu’au 23 janvier 2022. Cette exposition à la fois sensible et percutante se penche, dans sa partie centrale, sur la réalité de personnes immigrantes vivant à Québec et dans la région immédiate depuis moins de 10 ans. Ils expriment leur choix, les embûches et les défis rencontrés – arrivée à l’aéroport, paperasse administrative, examens médicaux, équivalences professionnelles –, leur découverte d’une nouvelle société et surtout celle de l’Autre.
«Notre projet vise à faire tomber certains préjugés ou stéréotypes sur les arrivants venus d’ailleurs, explique l’une des trois conceptrices et réalisatrices de l’exposition, Clarissa De Sousa Rebouças. Chaque pays a sa propre culture, sa propre nourriture, sa propre façon de parler. Je pense que la diversité représente une richesse pour tout le monde, pour la société d’accueil comme pour les immigrants eux-mêmes.»
Clarissa De Sousa Rebouças est Brésilienne. Elle a quitté son pays il y a six ans. Elle est présentement inscrite à l’Université Laval à la maîtrise en littérature et arts de la scène et de l’écran. Elle a pris le chemin de l’immigration avec, dans ses bagages, une formation en cinéma. Felippe Martín, originaire de Colombie et membre de l’équipe de conception et de réalisation, a le même profil professionnel. La troisième équipière, Pascale Guéricolas, est pour sa part originaire de France. Cette journaliste pigiste a eu l’idée de départ du projet.
Cinq pour cent de la population de Québec
Deux professeures et une auxiliaire de recherche de l’Université Laval ont contribué au projet d’exposition. Danièle Bélanger, du Département de géographie, Stéphanie Arsenault, de l’École de travail social et de criminologie, et Mireille Lajoie, inscrite à la maîtrise en sciences géographiques ont travaillé sur le contenu de la zone de l’aéroport. Deux écrans montrent des statistiques sur l’immigration au Canada. Retenons que de 2008 à 2020, plus de deux millions de nouveaux résidents permanents, en provenance des 20 principaux pays d’immigration, sont entrés au Canada. Aujourd’hui, 5% de la population de la ville de Québec sont constitués de résidents permanents.
Une zone reconstitue un bureau administratif dont les murs sont complètement recouverts de formulaires de toute nature. «C’est lourd l’immigration, souligne Clarissa De Sousa Rebouças. Tous ces formulaires en montrent la complexité. Immigrer ne consiste pas à dire: “Je veux aller vivre dans tel pays, je prends l’avion, j’arrive à destination, je m’installe et tout est beau”. Il y a plein de bureaucratie. Nous avons voulu illustrer la lourdeur des procédures, notamment par la quantité de formulaires à remplir. Nous avons aussi voulu montrer toute la difficulté de l’attente. Serai-je accepté comme immigrant? Aurai-je du travail? Aurai-je droit au système de santé?»
Une zone est consacrée aux examens médicaux, une autre aux équivalences professionnelles. Dans le premier espace, le thème est illustré par une vingtaine de radiographies de différentes parties du corps humain. «Cette zone, dit-elle, attire l’attention du visiteur sur le fait qu’un candidat à l’immigration peut être refusé s’il est malade.» Dans le second espace, une impressionnante série de documents officiels défile rapidement sur trois murs. Ces passeports, diplômes et autres bulletins de francisation, avec photo, prénom et nom, ainsi que le nom du pays d’origine, appartiennent à des immigrants économiques, à des réfugiés et à des personnes parrainées. «Les documents montrent que l’immigrant arrive dans le pays d’accueil avec une formation et de l’expérience professionnelle, indique-t-elle. Mais, bien souvent, cette formation et cette expérience ne sont pas reconnues.»
Une grande section de mur sert à la projection d’une vidéo en noir et blanc montrant, dans une vue en plongée, des immigrants, valise à la main, montant avec lenteur un grand escalier.
Par leur nombre, les valises sont bien visibles dans l’exposition. Qu’elles soient grandes ou petites, neuves ou usées, fermées ou ouvertes, ces objets indispensables à tout voyageur ont une signification particulière pour celui ou celle qui émigre. «La valise, explique Clarissa De Sousa Rebouças, sert à apporter des choses personnelles et, pour l’immigrant, elle a une valeur symbolique. Elle sert à emporter nos souvenirs et nos expériences où l’on va. Dans la zone de l’arrivée dans le pays d’accueil, les deux valises ouvertes chacune sur des vêtements et une paire de souliers signifient que l’on s’ouvre aussi à une nouvelle vie.»
Zone centrale
Clélia Dionisio, Alessïa Gamez Beltran, Teddy Segor Ingabire, Mohammed Intalla, Felipe Oporto Peña, Mariam Désirée Ouattara, Hien Pham, Guillaume Sanchez et Zakia Zoukri occupent la zone centrale de l’exposition. Sur trois rangées, avec trois écrans par rangée, ces neuf immigrés prennent tour à tour la parole pour raconter en quelques minutes leur arrivée et leur installation à Québec et dans la région immédiate. L’équipe de conception et de réalisation les a filmés l’été dernier, la plupart du temps devant la porte d’entrée de leur domicile. Ces cinq femmes et quatre hommes proviennent d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie et d’Europe. L’image de celui ou de celle qui parle se déplace toujours au centre de l’ensemble des écrans. Pendant ce temps, les autres attendent patiemment leur tour.
«Ils sont filmés devant leur porte pour montrer qu’ils se sont stabilisés à Québec, souligne l’étudiante. Quand une personne y va de son témoignage, les autres attendent. Par cela, nous voulions illustrer l’attente d’un statut pour l’immigrant. Nous leur avons demandé de parler en regardant la caméra de face pour plus de proximité avec les visiteurs qui les regardent et les écoutent.»
Teddy Segor Ingabire est originaire du Burundi. En 2017, dans le but d’obtenir un visa canadien, sa sœur et lui sont forcés de passer par les États-Unis. Ils font route de New York au poste frontalier de Lacolle, en taxi, où ils attendent trois jours leur autorisation de franchir la frontière et de s’installer au Canada.
Hien Pham vient du Vietnam. Cette préposée aux bénéficiaires vit au Québec depuis 2013. Elle occupe cet emploi parce que ses deux diplômes universitaires, obtenus dans son pays d’origine, n’ont pas été reconnus. Elle se dit très fière de son parcours d’immigrante et elle aime beaucoup son pays d’adoption.
Alessïa Gamez Beltran est originaire du Salvador. En raison de sa transition de genre, elle n’était plus du tout en sécurité dans son pays d’origine. Elle est venue s’établir au Canada comme réfugiée. «Au Québec, dit-elle, je réalise mes rêves. C’est un endroit que je n’avais jamais imaginé. Le machisme est très fort au Salvador. La plus belle chose au Québec est que nous sommes tous égaux.»
Felipe Oporto Peña vient du Mexique. Il connaît bien le Québec pour y avoir été travailleur saisonnier de 2004 à 2016. Il est aujourd’hui installé à l’Île d’Orléans avec sa famille. Tous se sont adaptés aux yeux bleus, à la peau blanche et aux difficultés de la langue française.
L’exposition Voisins, voisines d’ailleurs est une réalisation du Musée de la civilisation, de Spira, coopérative vouée au cinéma indépendant, de Pascale Guéricolas, de Felippe Martín et de Clarissa De Sousa Rebouças.