9 novembre 2021
Des parutions originales
Cet automne, un nouveau numéro de la revue Milieu(x) a vu le jour avec la collaboration de chercheurs de la Faculté de philosophie et une pièce de théâtre a été publiée dans une collection universitaire dirigée par un professeur de la Faculté
Le sixième numéro de Milieu(x), une revue de philosophie destinée à un public scolarisé et lancée en 2012 par un groupe d’étudiants au doctorat de l’Université Laval, a paru il y a quelques semaines. La publication de 77 pages contient huit articles réunis sous le thème général de Conditions démocratiques: histoires, mémoires et miroirs. Les quatre premiers abordent différents sujets relatifs à la Grèce ancienne. Les quatre autres touchent à différents aspects du monde contemporain. Dans une autre section de la revue, trois auteurs réfléchissent au phénomène de la COVID-19, toujours sous l’angle de la philosophie.
«Ce numéro est particulier au sens où nous avons fait appel, pour le volet Grèce ancienne, à la Chaire de recherche du Canada en antiquité critique et modernité émergente, dont le titulaire est le professeur Jean-Marc Narbonne», explique Louis-Étienne Pigeon, chargé d’enseignement en éthique environnementale et développement durable à la Faculté de philosophie, cofondateur et membre de l’équipe éditoriale de Milieu(x).
Selon lui, la philosophie grecque représentait, pour les membres de l'équipe éditoriale de la publication, «un territoire difficilement accessible». «Pouvoir éditer et publier des textes de grande qualité sur ce sujet demande une érudition particulière, poursuit-il. Les membres de l'équipe travaillent normalement plus sur de la matière contemporaine ou sinon sur les quelques siècles passés. L'apport de la Chaire nous a été essentiel pour réaliser ce projet. Nous avons beaucoup appris, dans le plaisir et la rigueur.»
Le professeur Narbonne signe un texte sur l’Antigone de Sophocle. Pour lui, le message derrière cette œuvre célèbre est avant tout une leçon touchant les mésusages possibles du pouvoir et ses conséquences dévastatrices pour tous sans exception, de là l’intérêt d’emprunter une voie plus ouverte, conciliatrice et démocratique dans les affaires publiques et politiques.
Paulin Ismard, pour sa part, pose la question des liens entre la démocratie et l’esclavage dans le monde antique. Raphaël Arteau McNeil s’interroge sur les causes du conflit entre Athènes et Sparte. Olivier Contensou se penche sur un auteur relais essentiel au 18e siècle et pourtant peu connu, Cornelius de Pauw, défenseur à la fois de la démocratie athénienne et des démocraties modernes. Sophie Cloutier, quant à elle, se demande quelle place il convient d’accorder à la figure de l’étranger en régime démocratique. Raphaël Langevin et Emanuel Guay réfléchissent aux processus démocratiques eux-mêmes en temps de crise. Mario Ionut Marosan se penche sur la façon dont on peut remédier aux problèmes suscités par le populisme, comme les fausses nouvelles et les théories du complot. Enfin, Julie Forget et Louis-Étienne Pigeon s’interrogent sur le sens qu’il convient de reconnaître pratiquement à un organisme démocratique comme le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement au Québec.
«Notre revue est destinée à un public scolarisé, qui aime lire et qui s'intéresse aux grands enjeux de notre époque, souligne Louis-Étienne Pigeon. Il y a certainement un accent mis sur la philosophie, mais pas uniquement. Au moins la moitié des contributions provient de l’extérieur de l’Université. Nous avons publié des textes de sociologues, de juristes, d’anthropologues et autres. La revue est vendue dans les bibliothèques universitaires et collégiales et également chez quelques libraires indépendants. Elle est également offerte partout dans le monde via un kiosque électronique. Nous existons volontairement hors du circuit normal des revues savantes, mais notre réputation doit être bonne, car aucun auteur, y compris les chercheurs établis, n'a refusé de participer à nos projets. Nous mesurons notre réputation au retour que nous avons de nos collaborateurs et ceux-ci sont toujours positifs.»
Quel a été le point de départ de cette belle aventure? «Comme étudiants en philosophie, répond-il, nous trouvions qu’il fallait sortir la philo de la Faculté, qu’il fallait la rendre davantage pertinente au grand public. Je ne vous cacherai pas qu’en 2012, durant la grève étudiante québécoise, les cofondateurs de la revue et moi étions tous étudiants et que l’ambiance était survoltée. Nous avions en tête de participer à long terme à cette effervescence politique et sociale au moyen d’un projet associé à notre discipline, la philosophie.»
Des idéologies aux antipodes
Jean-Marc Narbonne a fondé et dirige la collection Zêtêsis aux Presses de l’Université Laval. Cette collection arrivera bientôt à sa cinquantième parution. Cet automne, elle s’est enrichie d’une pièce de théâtre dans sa série «Esthétiques». Le sujet: Robertine Barry, reconnue comme la première femme à vivre du métier de journaliste au Québec. Après avoir publié quelques articles et contes dans les pages du journal libéral La Patrie, elle est engagée en 1891 pour rédiger une chronique hebdomadaire. Née en 1863, décédée en 1910, cette femme moderne avant la lettre était indépendante et féministe. Elle a fait sa marque en s’exprimant de façon nouvelle et révolutionnaire sur la condition des femmes. Elle a fondé son propre journal et monté sur les tribunes pour promouvoir l’idée d’une éducation laïque et gratuite. En ce sens, elle a semé au Québec le germe de plusieurs idées qui vont éclore durant la Révolution tranquille.
«Il existait déjà une biographie de Robertine Barry, c’est pourquoi j’ai choisi l’écriture théâtrale pour explorer différemment ce personnage, explique l’auteur de la pièce, le diplômé en lettres de l’Université Laval, ex-journaliste, ex-professeur de littérature et traducteur pigiste Paul Fortier. Je voulais un texte assez court – la pièce fait moins de 80 pages – assez punché et assez dynamique. J’insiste beaucoup sur l’opposition entre Robertine et Mgr Paul Bruchési, le puissant archevêque de Montréal, représentant de l’idéologie dominante de l’époque. Je ne voulais pas d’une pièce poussiéreuse, mais d’une intrigue réaliste qui puisse susciter l’intérêt du spectateur d’aujourd’hui.»
La première partie du texte consiste en un huis clos à l’archevêché entre les deux personnages, qui ont eu de nombreux conflits dans le passé. Cette rencontre a pour prétexte le Congrès de fondation de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, le premier regroupement féministe de l’histoire, qui s’est déroulé en mai 1907 au Monument national de Montréal. À l’approche de ce congrès historique, l’ecclésiastique convoque Robertine Barry afin de s’assurer qu’elle n’y fera pas de vagues par des propos féministes jugés subversifs.
La pièce Robertine comprend trois parties chronologiques découpées en 13 courtes scènes: l’échange musclé à l’archevêché entre ces deux fortes personnalités, leur discours respectif lors du congrès et, enfin, la confrontation finale à l’archevêché. Au cœur des argumentaires se trouvent deux conceptions opposées du féminisme. Mgr Bruchési défend un féminisme «raisonnable et d’inspiration chrétienne» basé sur le foyer familial. Robertine Barry, elle, prône un féminisme indépendant et égalitaire permettant notamment l’accès des femmes aux études supérieures.
La pièce est écrite dans une langue vivante, concise et précise. Elle se veut une longue confrontation où les arguments s’entrechoquent et rebondissent à un rythme soutenu. L’atmosphère est graduellement empreinte de méfiance, de crainte, d’indignation et de colère. L’ironie de la protagoniste est parfois cinglante.
«L’un et l’autre se respectent, souligne l’auteur. Mais ils ne s’entendent pas très bien.»
«Les graines de la libération de la femme que nous semons aujourd’hui, les générations futures en récolteront les fruits. La libération est pour bientôt. Je le sais, je le sens, je le vois. Je vous en donne ma parole de femme insoumise.» C’est par ces mots que la pièce prend fin dans la scène intitulée «La réplique de Robertine».
Le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, la ministre de la Culture et des Communications du Québec a désigné comme personnages historiques quatre femmes ayant marqué l’histoire littéraire et journalistique du Québec, dont cette pionnière du mouvement féministe et intellectuelle engagée qu’a été Robertine Barry. Mentionnons également que de 1984 à 2000, l’Institut canadien de recherches sur les femmes a décerné chaque année le prix Robertine-Barry pour récompenser le meilleur article portant sur la condition féminine.