«Le parlementarisme féminin en France et au Québec: où en sommes-nous?» C’est sur ce thème que s’est déroulé un important colloque virtuel les 13 et 14 octobre derniers. Coorganisé par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval et la Commission de la mémoire franco-québécoise, l’événement a attiré plus de 350 visiteurs.
«Je retiens de l’expérience québécoise l’atteinte de la zone paritaire depuis 2018, cette zone se situant entre 40% et 60% des élus, explique le titulaire de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, professeur au Département de science politique et doyen de la Faculté des sciences sociales, François Gélineau. Aux élections de 2018, la députation féminine représentait 42,4% de l’ensemble.»
Le professeur Gélineau a été le seul intervenant de l’Université Laval à prendre la parole durant le colloque. Selon lui, le chemin de la représentation féminine à l’Assemblée nationale du Québec fut long à parcourir. «Plusieurs intervenantes, dit-il, nous ont rappelé qu’au Québec, le droit de vote des femmes n’a été obtenu qu’en 1940 après de longues années de mobilisation et que la première femme à siéger à l’Assemblée nationale n’a été élue qu’en 1961. Mais surtout que le chemin vers la zone paritaire a été long. Entre 1961 et 1976, les différentes législatures de l’Assemblée nationale n’ont pu compter que sur la présence d’une seule femme par législature. Il aura fallu attendre 1989 avant que la proportion de femmes élues n’atteigne 20 pour cent.»
François Gélineau souligne la particularité du Québec dans ce dossier, soit le non-recours à la coercition. «C’est plutôt grâce à la mobilisation citoyenne, à la détermination des leaders féministes et à la ténacité des femmes députées que l’Assemblée nationale a atteint la zone de parité, affirme-t-il. C’est à travers la sensibilisation, le dialogue et la formation que la situation a évolué. Une exigence de parité au sein des conseils d’administration des sociétés d’État québécoises semble avoir accéléré la représentation des femmes.»
Ne rien tenir pour acquis: c’est ce qui se dégage des interventions des participantes. «Il importe, soutient ce dernier, de ne pas s’asseoir sur ses lauriers. La problématique existe encore et bien que plusieurs barrières aient été démantelées, il en reste encore plusieurs. On peut penser aux obligations familiales qui reposent encore de façon asymétrique sur les épaules des femmes. Il faut continuer à travailler pour que les femmes aient leur juste place au sein de nos institutions démocratiques. Ainsi, plusieurs dimensions de la vie politique continuent à correspondre à une vision à prédominance masculine. Il reste du travail à faire. Mais je pense que tout le monde reconnaît que le retour en arrière n’est pas envisageable. Le parlementarisme au féminin est réel.»
La grande question, poursuit-il, est comment recruter les femmes en politique, «surtout dans un contexte où la politique est plus que jamais source de tensions».
Selon François Gélineau, la société change et les institutions politiques reflètent ce changement. «L’évolution est très positive, dit-il. Il faut continuer à s’adapter et faire un parlement qui nous ressemble comme société.»
Selon lui, le long parcours des femmes peut alimenter nos réflexions sur les moyens à prendre pour favoriser la participation des autres groupes sous-représentés à la vie politique, comme les premiers peuples. «Ces groupes reflètent notre société, explique-t-il, ce qui est l’essence de la démocratie. Leur participation active est nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie.»
En France, un parcours long et inachevé
Le colloque a mis en lumière une similitude entre les parcours québécois et français en ce qui concerne la participation féminine à la vie parlementaire. Tout comme au Québec, le chemin vers la zone paritaire en France fut long et, à ce jour, inachevé, et ce, bien que l’accession des femmes à la vie parlementaire se soit amorcée plus tôt qu’au Québec, il y a 75 ans, avec l’élection d’une première députée. Le pourcentage de femmes qui siègent à l’Assemblée nationale française ne croisera la barre des 10% qu’en 1997. Depuis 2017, elles représentent 38,8% des élus.
«Si le Québec s’y est pris par la sensibilisation, la mobilisation et le dialogue, rappelle François Gélineau, la législature française n’a pas hésité à montrer les dents pour y arriver. En effet, depuis l’année 2000, plusieurs mesures législatives ont été adoptées afin de forcer la parité entre les candidates et les candidats aux élections législatives. Les organisations prises en défaut subissent une sanction financière. Même en modifiant la loi, il aura fallu combattre une culture profondément ancrée au sein de la classe politique et de la société en général.»
Selon lui, l’ensemble des conférencières ont affirmé haut et fort qu’il ne faut pas relâcher la pression. «Il faut au contraire, dit-il, multiplier les efforts pour que cette grande roue du changement s’engage dans une trajectoire irréversible. Il faut continuer à encourager les femmes à se lancer dans la vie politique.»
Courage et détermination
La conférence d’ouverture du colloque a été prononcée par l’ex-première ministre du Québec, Pauline Marois. D’entrée de jeu, elle a expliqué qu’une société ne peut se priver de l’intelligence, de la sensibilité et de l’expérience de 50% de sa population «pour changer le monde, un pas à la fois». «Dans nos démocraties, a-t-elle ajouté, nous souhaitons que la maison du peuple, l’Assemblée nationale, soit la plus représentative possible de celles et ceux qui habitent le pays.»
Durant sa longue carrière politique, la conférencière a beaucoup travaillé à recruter des candidates pour sa formation politique. Pas seulement des femmes d’âge mûr, célibataires ou ayant des enfants adultes, mais aussi des femmes jeunes, de façon à ce que toutes les générations de femmes soient représentées à l’Assemblée nationale. «La richesse des parlements, a-t-elle dit, est la diversité des expériences, du vécu de chacun qui permet d’adopter des lois, des politiques, des programmes qui vont tenir compte des réalités du terrain, des problèmes concrets vécus au jour le jour, par nos concitoyennes et nos concitoyens. Ainsi, l’absence d’une génération de femmes en âge de procréer nous éloigne de cette réalité.» Selon elle, «s’engager en politique prend du courage et de la détermination».
Au fil des ans, des femmes de la députation à l’Assemblée nationale du Québec, autant au gouvernement que dans l’opposition, ont travaillé ensemble sur d’importants dossiers pour la société québécoise. Comme ministre des Finances, Pauline Marois a notamment porté le dossier de la réforme sur les institutions de surveillance et de contrôle en matière d’institutions financières. «Ma vis-à-vis était Monique Jérôme-Forget, a-t-elle raconté. Je peux vous dire que cela a été un moment formidable. Elle a apporté des amendements, des correctifs que j’ai reçus avec bienveillance en les évaluant, en les introduisant dans la loi, ce qui fait que la loi a été bonifiée par notre travail, sans animosité, sans agressivité, et permettait, croyons-nous, d’outiller le Québec de façon beaucoup plus pertinente qu’il ne l’était dans le passé.»
Les centres de la petite enfance et les soins de fin de vie sont d’autres exemples de projets majeurs portés et défendus par des femmes à l’Assemblée nationale. Plus loin dans le temps, on peut mentionner le changement du statut juridique des femmes mariées, la protection de la jeunesse et la loi sur le patrimoine familial. En France, parmi les dossiers majeurs concernant la vie des femmes, il y a eu notamment l’interruption volontaire de grossesse, la loi établissant l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et la loi visant une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration.
«Je crois que la démonstration est assez claire: la présence des femmes fait la différence dans nos parlements, a soutenu Pauline Marois. Peut-être ces lois auraient été adoptées (par des hommes). De la même façon, avec le même contenu? J’en doute.»
Elle a rappelé que depuis les années 1970 au Québec des responsabilités importantes ont été confiées à des femmes. De la vice-présidence à la présidence de l’Assemblée nationale, du poste de vice-première ministre à celui de présidente du Conseil du Trésor, en passant par le poste de ministre, notamment de ministères importants comme la santé et l’éducation, les femmes se sont démarquées depuis un demi-siècle.
«Depuis l’entrée des femmes à l’Assemblée nationale, a-t-elle souligné, il y aura eu des nominations de femmes au Conseil des ministres en proportion plus grande que le nombre qu’elles représentaient à l’Assemblée.»