Un article qui vient de paraître dans l'International Journal of Molecular Sciences vient ébranler une idée reçue en biologie cellulaire. Dans cette étude, une équipe de la Faculté de médecine et du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval rapporte avoir découvert une nouvelle classe d'ARN exceptionnellement courts qui moduleraient de façon inédite l'expression des gènes dans la cellule.
«Il y avait un dogme en biologie moléculaire selon lequel les brins d'ARN plus courts que 16 nucléotides ne pouvaient avoir de rôle significatif, explique le responsable de l'étude, Patrick Provost. Ils étaient considérés comme des produits de dégradation cellulaire et on ne prenait même pas la peine de les étudier. J'avais moi-même accepté cette limite arbitraire sans me poser de question. Il aura fallu un accident de parcours pour que je revisite cette idée reçue.»
En effet, une erreur de manipulation survenue dans un laboratoire avec lequel son équipe collaborait a amené le chercheur à penser qu'il pouvait exister des ARN beaucoup plus courts que tout ce qui avait été rapporté jusque-là. «Grâce à cette erreur, nous nous sommes lancés à la recherche d'ARN extrêmement courts pouvant avoir un rôle fonctionnel dans la cellule et nous en avons trouvés.»
Rappelons que l'ARN est un intermédiaire qui permet de convertir l'information génétique encodée sous forme d'ADN dans le génome en instructions permettant la synthèse de protéines. Dans les années 1990, on a découvert que des microARN pouvaient se lier à l'ARN messager pour en moduler la traduction en protéines. «Ces microARN, qui comptent entre 19 et 24 nucléotides, sont maintenant reconnus comme des régulateurs importants d'environ 60% des gènes chez l'humain. Nous avons découvert des ARN encore plus courts qui rempliraient aussi fonction de régulation des gènes, mais de façon différente», précise le professeur Provost.
Alors que les microARN sont présents sous différentes formes dans la cellule – on parle de plusieurs centaines de séquences différentes –, la nouvelle classe d'ARN découvert par les chercheurs de l'Université Laval compte principalement deux séquences. La première a 12 nucléotides et sa variante en a 13. Les chercheurs ont donc nommé cette classe les dodécaARN. «Cette uniformité et leur accumulation suggèrent qu'ils ne sont pas produits de façon aléatoire», observe le chercheur.
Même s'ils sont peu diversifiés, les dodécaARN sont très abondants dans la cellule, beaucoup plus que les microARN, précise-t-il. La gamme de leurs fonctions reste à être précisée. «Dans l'étude que nous publions dans l'International Journal of Molecular Sciences, nous démontrons deux de ces fonctions – une qui touche la migration des cellules et l'autre qui concerne un gène du cancer de la prostate –, mais vu l'abondance des dodécaARN, nous croyons qu'il y en a beaucoup plus. C'est ce que mon équipe va maintenant étudier. À long terme, nous pensons qu'il serait possible d'utiliser ces dodécaARN pour moduler l'expression de gènes impliqués dans certaines maladies humaines.»
La première auteure de l'étude parue dans l'International Journal of Molecular Sciences est Marine Lambert. Abderrahim Benmoussa, Idrissa Diallo, Katheryn Ouellet-Boutin, Véronique Dorval, Nathalie Majeau, Charles Joly-Beauparlant, Arnaud Droit, Alain Bergeron, Bernard Têtu, Yves Fradet, Frédéric Pouliot et Patrick Provost sont les autres signataires de l'article.