
Le monde circumpolaire, dans sa partie nord-américaine, va de l’Alaska au Nunavut. Dans ces régions, le revenu disponible est somme toute moyen, la mortalité infantile plutôt faible, l’espérance de vie assez longue et la croissance démographique très variable.
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«Dans les régions nordiques de l’Amérique du Nord, les indicateurs d'inégalités sont relativement favorables au développement humain. Dans la partie arctique de l’Europe, ces indicateurs révèlent des inégalités modérées à peu près partout. Quant à la Fédération de Russie, la situation est extrêmement différente dans le Grand Nord. Les indicateurs sont parmi les plus bas dans l’ensemble des grands blocs de régions étudiées.»
Gérard Duhaime est professeur au Département de sociologie. Il est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée et de la Chaire Louis-Edmond-Hamelin de recherche nordique en sciences sociales.
Le 28 avril, il a prononcé une conférence dans le cadre des activités webdiffusées de la Faculté des sciences sociales. Le titre de son exposé était L’Arctique circumpolaire, l’économie globale et les inégalités sociales.
«J’ai communiqué les résultats d’une recherche dont les débuts remontent à plus de vingt ans, explique-t-il. À la fin du mois de mai, ces résultats seront publiés dans le cadre de la prochaine réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique.»
Le monde circumpolaire, dans sa partie nord-américaine, va de l’Alaska au Nunavut. Sa partie européenne comprend les pays scandinaves, ainsi que l’Islande et le Groenland. Enfin, la partie russe réunit la majeure partie du territoire nordique mondial ainsi que la majorité de la population de l’Arctique circumpolaire.
«Mon exposé a considéré 24 régions, indique le professeur Duhaime. Elles ont été étudiées à partir de 14 indicateurs alimentés par des statistiques de 2018. Ces indicateurs comprenaient notamment la croissance de la population, le pourcentage de femmes, l’espérance de vie, la mortalité infantile, le revenu disponible et le produit intérieur brut régional.»
Dans les régions nordiques de l’Amérique du Nord, le revenu disponible est somme toute moyen, la mortalité infantile plutôt faible, l’espérance de vie assez longue et la croissance démographique très variable. L’économie de ce vaste territoire est principalement axée sur l’exploitation des ressources naturelles. Des populations autochtones plus ou moins nombreuses forment une partie de la population régionale.
En Europe, les pays nordiques se subdivisent en régions continentales et en régions géographiquement éloignées. Dans cette deuxième catégorie se trouvent le Groenland, l’Islande et les îles Féroé. Globalement, les régions arctiques d’Europe présentent les valeurs égalitaires les plus élevées de toutes les régions étudiées. Le revenu disponible, le pourcentage de femmes dans la population, l’espérance de vie sont les plus élevés. La mortalité infantile est la plus faible. La base de l’économie de ces pays est une importante industrie extractive, en particulier pour le pétrole, le bois et les pêcheries.
Le territoire polaire de la Russie présente les indicateurs les plus bas de toutes les régions étudiées. On y trouve des industries qui sont là depuis fort longtemps, dont certaines ne se sont pas modernisées et dont la prospérité est passée depuis la chute de l’URSS.
Selon le professeur, il faut voir les inégalités comme une capacité de contrôle des pouvoirs politiques, économiques et idéologiques. «Cette capacité de contrôle, dit-il, se manifeste à l’intérieur de relations sociales entre des gens qui ont des caractéristiques, des identités ethniques et des appartenances de classe déterminées par leur emploi, leur revenu, leur éducation.»
Nunavut, Groenland et Tchoukotka
Dans sa présentation, Gérard Duhaime a établi une comparaison entre les territoires du Nunavut (Canada), du Groenland (Danemark) et du Tchoukotka (Russie). Le premier territoire a une population d’environ 40 000 habitants dont 85% sont autochtones. Il couvre une superficie de plus de deux millions de kilomètres carrés. Créé en 1999 par le gouvernement fédéral, le Nunavut est peuplé en majorité par des Inuits. Le deuxième territoire est situé entre l’Atlantique Nord et l’océan Arctique. Il fait lui aussi plus de deux millions de kilomètres carrés pour une population de quelque 56 000 habitants. Le troisième territoire est situé à l’extrémité nord-est de la Russie. Sa superficie est de plus de 737 000 kilomètres carrés. Il compte plus de 50 000 habitants.
«On trouve au Nunavut des différences de configuration flagrantes, soutient le chercheur. Le revenu disponible est parmi les plus bas, de même que le PIB régional. La mortalité infantile est parmi les plus fortes. L’espérance de vie est parmi les plus faibles.»
Selon lui, le Groenland se distingue des autres régions arctiques de l’Europe, au même titre que le Nunavut se différencie des autres régions arctiques d’Amérique du Nord. «Les villages du Groenland se rattachent au monde inuit du point de vue culturel, souligne-t-il. Matériellement, les habitants s’identifient beaucoup au monde européen. Comme au Nunavut, la population supplée à son alimentation par la chasse et la pêche. Même chose pour l’emploi, qui se retrouve principalement dans les services gouvernementaux.»
Le Nunavut et le Tchoukotka ont une population semblable, un peu moins de la moitié étant autochtone dans ce dernier cas. «En Tchoukotka, poursuit-il, l’espérance de vie est la plus faible du monde arctique, les régions où elle est la plus élevée étant dans le nord de l’Europe. Quant aux inégalités de revenu, ils touchent essentiellement le nord de la Russie. En 2018, la mortalité infantile la plus élevée du monde arctique était au Nunavut, suivi du Tchoukotka.»
Selon Gérard Duhaime, on observe, dans les pays nordiques d’Europe, une relation nette entre la faiblesse des inégalités et la faiblesse de la mortalité infantile. On voit aussi un lien significatif dans les pays où l’espérance de vie est la plus forte et l’égalité la plus grande. «L’inverse, ajoute-t-il, est aussi vrai pour les régions du nord de la Russie, où les grandes inégalités de revenu sont associées à une mortalité infantile plus importante.»
Des variations fiscales
Dans la dernière partie de sa conférence, le professeur Duhaime a parlé des variations fiscales au nord de l’Amérique du Nord, de la social-démocratie hésitante dans les pays nordiques d’Europe et de la tolérance aux inégalités en Russie.
«Le contexte de capitalisme néolibéral bon teint explique les différences fiscales, comme ce que l’on observe en Alaska et dans le Nord canadien, soutient-il. En Alaska, le revenu personnel est extrêmement élevé. Pas seulement à cause des salaires, mais parce que la fiscalité est très légère. Or, ces inégalités affectent toutes les régions de manières plus ou moins différentes.»
Dans les États centralisés et démocratiques de la partie nord de l’Europe, le système économique est basé sur un capitalisme à saveur néolibérale modulé selon les pays.
«Dans ce système, poursuit-il, il y a une persistance de la responsabilité sociale des entreprises et surtout de l’État. Cela amène à une fiscalité très forte. C’est ce qui explique un revenu disponible plutôt faible en comparaison avec d’autres régimes. Cette fiscalité permet de donner des services à la population qui sont généralement gratuits. Ces manières d’envisager la vie sociale commune modèlent les inégalités économiques, sociales et politiques les plus faibles parmi toutes les régions nordiques. Grosso modo, le pari social-démocrate continue d’étonner.»
En Russie, la structure économique capitaliste comprend, pour une grande part, des monopoles d’État, celui-ci étant très centralisé et autoritaire. «Le «néotsarisme», une idéologie imposée par le pouvoir politique, a conduit à l’abandon des responsabilités sociales, souligne Gérard Duhaime. Lorsque l’URSS a été démantelée, les grandes entreprises russes ont été bradées, cédées à des oligopoles. Autrefois, en particulier dans les villes monoindustrielles, ces entreprises avaient des responsabilités sociales. Elles veillaient à la santé de leurs employés, elles géraient des écoles. Tout a disparu.»
Voir la version intégrale de l’exposé de Gérard Duhaime

Le Groenland est situé entre l’Atlantique nord et l’océan Arctique. Cette île fait plus de deux millions de kilomètres carrés pour une population de quelque 56 000 habitants. Ce territoire se distingue des autres régions arctiques de l’Europe. Les villages du Groenland se rattachent au monde inuit du point de vue culturel. Matériellement, les habitants s’identifient beaucoup au monde européen.
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