
Kosmos: une aventure québécoise au temps du rock progressif détonne quelque peu dans le catalogue de Septentrion, maison d'édition spécialisée en histoire.
Kosmos: il est fort possible que ce nom ne vous dise rien. En revanche, les groupes avec lesquels la maison de production a travaillé se passent de présentation: Pink Floyd, Genesis, Gentle Giant… Si vous avez eu la chance d'assister à leurs premiers concerts au Québec, c'est grâce aux Productions Kosmos.
Le parcours de ce collectif résolument hippie, qui n'a duré que six ans, est une véritable saga. Le tout est raconté par Michel Maltais dans Kosmos: une aventure québécoise au temps du rock progressif, un livre qui vient de paraître chez Septentrion.
«Pour moi, ce livre est une façon de revenir sur une histoire peu connue, qui a été oubliée avec les années, explique l'auteur. Par ailleurs, je vis toujours dans la vieille maison qui a servi de base et de lieu d'affaires pour Kosmos. J'ai voulu écrire l'histoire de cette maison pour mes enfants, mes petits-enfants et l'ancienne gang de Kosmos, mais aussi pour tous ceux qui veulent comprendre les événements tels que nous les avons vécus.»
Michel Maltais prend un plaisir évident à se replonger dans cette époque de sa vie. Dans ce livre de 245 pages, il ne lésine pas sur les détails, documents d'archives à l'appui. Aux photos de spectacles, publicités et extraits de journaux s'ajoutent plusieurs témoignages d'amis et anciens collaborateurs qui jettent un regard éclairant sur ce qui se passe dans les coulisses du rock.
Mais l'ouvrage ne se limite pas aux anecdotes, aussi croustillantes soient-elles. L'auteur, très politisé dans sa jeunesse, fait des liens avec le contexte sociopolitique de l'époque: Mai 68, montée du mouvement indépendantiste, crise d'Octobre (cofondateur d'un journal étudiant contestataire, Maltais a lui-même été incarcéré dans la foulée de l'adoption de la Loi sur les mesures de guerre). «Raconter l'histoire de Kosmos nécessitait de la replacer dans son contexte. Nos réactions et les raisons qui nous ont motivés à faire certains choix s'expliquent en grande partie par le contexte de l'époque», indique-t-il.
Un projet entre amis
Les débuts de Kosmos sont modestes, c'est le moins qu'on puisse dire. Le 23 juillet 1970, Michel Maltais et sa bande présentent un spectacle sur un terrain extérieur du Cégep Limoilou. L'objectif: prouver aux autorités que les jeunes peuvent organiser des événements dans des lieux publics sans qu'il y ait de débordements. Au programme, l'Infonie et Louise Forestier. La scène est instable, la qualité du son est horrible, mais le concert est un succès: plus de 2000 spectateurs répondent à l'appel.
Quelques mois plus tard, le groupe a une idée folle: faire venir Pink Floyd au Québec. Il réussit à prendre contact avec l'agence américaine de la formation, mais celle-ci, frileuse de collaborer avec une maison de production inconnue dans une ville de la taille de Québec, lui propose d'organiser un spectacle de moindre envergure, celui d'Eric Burdon and War.
Tout est en place pour l'accueillir, mais Eric Burdon se défile à la dernière minute, générant de lourdes pertes pour Kosmos. «C'est donc avec un spectacle annoncé, mais jamais produit que débute notre carrière dans le booking international. Tout un départ!», ironise Michel Maltais dans son ouvrage.
Heureusement, le Festival d'été de Québec fait appel à Kosmos pour organiser son spectacle d'ouverture. C'est ainsi que Cactus, un groupe rock américain, se produit dans la cour du Petit Séminaire, au grand dam des prêtres qui résident dans le bâtiment.
Les prochains spectacles de Kosmos s'avèrent un fiasco financier. Puis, miracle. Les producteurs reçoivent un télégramme inespéré: «Pink Floyd confirmé».
Le 10 novembre 1971, le groupe britannique est sur la scène du Pavillon de la jeunesse. Quelques heures avant le spectacle, Michel Maltais est à la recherche d'un système d'éclairage et craint de devoir annuler l'événement. À l'époque, Pink Floyd n'avait pas encore atteint la popularité planétaire qu'il allait avoir avec la sortie des albums Dark Side of the Moon et The Wall. Il n'empêche que des milliers de personnes s'étaient déplacées pour ce concert qui marquera l'histoire de la musique au Québec.

Pink Floyd, le 10 novembre 1971 au Pavillon de la jeunesse.
— Jean Savard, Le Soleil
«Nous étions prêts à subir des pertes et à tout risquer pour faire venir le groupe au Québec, se souvient Michel Maltais. En 1971, Pink Floyd était connu, mais pas du tout reconnu, et ce, même en Angleterre. En ce qui nous concerne, nous étions des fans finis. Pink Floyd, pour nous, était un groupe qui nous ressemblait: il était marginal, authentique dans sa démarche, sérieux dans sa recherche musicale et très respectueux des spectateurs. On s'attendait à un succès à Québec et à Montréal, mais pas à ce point-là.»
Plusieurs autres concerts mémorables suivront, chacun avec son lot de défis et d'embûches: Gentle Giant au Palais Montcalm, Genesis au Grand Théâtre de Québec ou encore Procol Harum au Centre sportif de l'Université de Montréal. Les spectacles organisés par Kosmos ont permis à des groupes britanniques jusque-là peu ou pas connus en Amérique du Nord de faire leurs preuves au Québec. La compagnie avait aussi comme but d'offrir de la visibilité aux musiciens d'ici, avec des premières parties assurées par des groupes locaux plutôt qu'américains ou canadiens-anglais, comme il se faisait à l'époque.

Peter Gabriel, le chanteur de Genesis, interprétant Dancing with the Moonlit Knight.
— Marie Robitaille

Des spectateurs attendent le début du concert de Pink Floyd à l'Autostade de Montréal, le 26 juin 1975. Ce concert était considéré à l'époque comme le plus important événement du genre jamais présenté au pays.
L'Université Laval au cœur de la scène rock
Dans les années 1970, une salle de spectacle se trouvait au sous-sol du pavillon Maurice-Pollack. Ce local exigu, qui a vu passer autant des vedettes du rock que des artistes émergents, a été un véritable carrefour musical pour Michel Maltais. D'abord, il y a chanté alors qu'il faisait partie du duo Les Misanthropes. Il y a aussi vu des concerts qui lui ont donné envie de se lancer dans la production. Plus tard, avec Kosmos, il y a organisé des spectacles qui ont obtenu un franc succès.
«C'est un lieu mythique dans l'histoire des salles à Québec. Le plafond était très bas. Quand les musiciens étaient sur scène, ils disposaient de peu d'espace au-dessus de leur tête. De grosses colonnes bloquaient la vue et obligeaient les spectateurs à se coller pour voir le spectacle. C'était une salle qui créait un climat d'intimité avec le groupe. Des artistes extraordinaires y ont joué, comme King Crimson, John Lee Hooker et Long John Baldry. Chaque fois, l'atmosphère était magique», dit Michel Maltais avec un brin de nostalgie.
Le concert de Gentle Giant, le 8 octobre 1972, figure parmi ses plus beaux souvenirs sur le campus. Tous les billets ayant été vendus à l'avance, des fans avaient réussi à se faufiler dans la salle par une issue de secours. Puisqu'il n'y avait pas d'agents de sécurité sur place, Michel Maltais les laisse passer, une initiative qui ne plaît pas au gérant du groupe.
Quand Gentle Giant se présente sur scène, l'ambiance est survoltée, à tel point que les musiciens se demandent si cet accueil chaleureux leur est destiné. Il faut dire qu'à l'époque, le groupe faisait la première partie des tournées de Black Sabbath, les fans d'Ozzy Osbourne n'étant pas un public particulièrement facile. Ce soir-là, un «silence quasi religieux» s'installe au moment où Kerry Minnear interprète Funny Ways. «Jamais en Amérique la musique de Gentle Giant n'a été autant appréciée que ce soir d'octobre à Québec. Pour les musiciens, c'est un baume sur une tournée nord-américaine qui n'a pas toujours été facile et, pour nous, une fin de tournée géniale», relate Michel Maltais dans le livre.

Autocollant de la tournée québécoise de Gentle Giant conçu par Michel Maltais.
— Yves Savoie

En 1971, Kosmos devait présenter un spectacle de Long John Baldry dans la cour de la Petite Bastille, l'ancienne prison de Québec transformée en auberge de jeunesse, mais le mauvais temps l'oblige à déplacer l'événement à l'Université Laval. «Long John Baldry mesurait plus de 6 pieds. Avec son chapeau, qu'il portait toujours lorsqu'il chantait, il y avait très peu d'espace entre lui et le plafond», raconte Michel Maltais en riant. Sur cette affiche, on voit la mention «Pavillon Pollack», ajoutée à la main.
— Fonds Alain Simard, BAnQ
La vie après Kosmos
Après un concert catastrophique à l'Autostade de Montréal, Michel Maltais prend la décision de quitter l'industrie de la musique. Le cœur n'y est plus. Il se tourne vers les arts graphiques. Un choix de carrière tout désigné pour celui qui réalisait lui-même les affiches promotionnelles de ses spectacles, en plus de la mise en page du journal étudiant du Cégep Limoilou.
Diplômé d'un certificat en enseignement professionnel de l'Université Laval, Michel Maltais a enseigné l'infographie pendant près de 25 ans au Centre de formation des Bâtisseurs, avant de prendre sa retraite en 2017.
Ce deuxième métier, une véritable passion pour lui, a été en quelque sorte la bougie d'allumage pour le projet d'ouvrage. «Dans mes cours, les étudiants devaient numériser et retoucher des photos en noir et blanc. Souvent, j'apportais de vieilles photos de spectacles. Certains étudiants se demandaient pourquoi j'avais des photos de Phil Collins. Ça me permettait de raconter des bouts d'histoire. Plusieurs ne croyaient pas que Pink Floyd était déjà venu à Québec. J'ai réalisé que les jeunes ne connaissent pas Kosmos. La pire chose qui peut arriver à une nation, c'est oublier son Histoire, incluant sa petite histoire. C'est pourquoi j'ai voulu partager mon aventure avec Kosmos.»

Les amis derrière les Productions Kosmos, en 1973.
— Claudel Huot