Le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur vient de lancer une consultation destinée à revoir le cours d'Éthique et culture religieuse (ECR). Au début des années 2000, Luc Bégin a collaboré avec le ministère de l’Éducation sur le volet éthique du cours. Une douzaine d’années plus tard, le professeur à la Faculté de philosophie s’inquiète pour l’avenir de ce programme.
Au moment du lancement du cours, plusieurs groupes religieux critiquaient la place congrue de la religion catholique à l’école. Aujourd’hui, d’autres organisations critiquent l’importance du religieux. Comment comprendre ces réactions contradictoires?
Il y a longtemps que le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec voulaient supprimer la partie religieuse de ce cours. Certains critiques du PQ voyaient dans ce programme l’affirmation d’un certain multiculturalisme canadien. Il faut se souvenir que L’ECR comprend trois volets, à savoir l’éthique, la culture religieuse et le dialogue; ce dernier fait le lien entre les deux premiers. Au début, les réticences venaient surtout de certains groupes religieux alors que le Québec vivait une déconfessionnalisation de ses écoles. Le cours ne visait pas la formation religieuse des élèves, mais plutôt la compréhension de ce phénomène. Il s’intéressait au fait que la religion fait partie de la vie de certains individus d’une façon indissociable. Cette question demeure importante dans notre société multiculturaliste. Le cours visait à mieux appréhender cette réalité à travers plusieurs de ses manifestations. On peut penser au port de vêtements particuliers ou à des rites liés à l’alimentation. Le cours évoquait aussi les convictions liées aux grandes religions. Le but, c’était la reconnaissance de l’autre, un objectif essentiel du programme avec la poursuite du bien commun. Le volet éthique, quant à lui, visait à apprendre à réfléchir et à analyser une situation de façon éthique.
Que pensez-vous de la réforme entreprise par le ministre de l’Éducation, bien décidé à revoir le contenu de ce cours?
J’espère que je me trompe, mais j’ai l’impression qu’il s’agit davantage d’une transformation radicale du programme, plutôt que d’une refonte du cours. Dans sa présentation, le ministre propose huit thèmes pour guider l’élaboration du cours, comme la participation citoyenne et la démocratie, l’éducation à la sexualité, l’éthique et la culture des sociétés. Considérer l’éthique comme un sujet parmi tant d’autres revient à transformer en profondeur le cours. Jusqu’à présent, l’éthique constituait un cadre d’analyse à partir duquel étaient abordées des questions de société. C’est complètement différent. Avec cette façon de présenter les choses, j’ai l’impression qu’on va produire essentiellement un programme de moralisation des jeunes. Cela va totalement à l’encontre du programme d’éthique et de culture religieuse qui, au contraire, voulait amener les élèves à apprendre à réfléchir. On cherchait à ce qu’ils deviennent des citoyens ayant un esprit critique et non pas à leur souffler les bonnes réponses. Il me semble que la réforme actuelle vise à transmettre les comportements acceptables, à expliquer ce qu’il convient de faire. Un peu comme certains groupes l’avaient proposé au début de l’ECR. Par exemple, ils voulaient ajouter un matériel pédagogique d’éducation à la sexualité dont le contenu suggérait les bons comportements à adopter.
À vos yeux, la société québécoise a-t-elle les moyens de débattre sereinement du contenu de ce cours?
Les questions posées par le ministre orientent en partie la discussion. Si les consultations demandent à la population de déterminer les thèmes que le cours doit aborder, cela dirige clairement sa conceptualisation. Pour l’instant, alors que nous sommes au début du processus, je ne vois pas quels sont les objectifs d’un tel programme. À priori, l’idée de proposer un certain nombre de thèmes semble orienter la discussion vers des connaissances à transmettre plutôt que vers des compétences à développer. Sans compter que certains sujets abordés amènent des comportements à favoriser. En faisant le choix de discuter d’une liste de sujets, la consultation risque d’attirer des groupes de pression cherchant à faire avancer leur cause. Certains vont vouloir former nos jeunes à l’écocitoyenneté, d’autres vont juger absolument essentielle l’éducation à la sexualité. Quel sera le lien entre cette pluralité de groupes et de thèmes? Quels seront les objectifs de ce nouveau cours?