
— Mathieu Gosselin
L'idée derrière l'initiative est de maximiser l'expérience du public en éliminant toute distraction visuelle. «On dit souvent que la vue est le sens qui prédomine, mais l'oreille sert aussi à rendre concret l'univers dans lequel on vit, rappelle Todd Picard. Les sons ne font pas que stimuler le tympan; ils créent des perceptions sur tout le corps. Cette activité sera l'occasion de vivre une expérience immersive en mettant l'ouïe de l'avant.»
Todd Picard est de ces artistes musicaux qui roulent leur bosse à Québec depuis un moment déjà. Régulièrement, on peut entendre sa guitare résonner dans des spectacles, des pièces de théâtre ou des soirées d'art multidisciplinaire. Avec le défunt groupe Les Batinses, il a réalisé cinq albums et effectué des tournées à travers les Amériques et l'Europe. Le multi-instrumentiste a aussi fait des enregistrements ou partagé la scène avec des chanteurs comme Stéphane Robitaille, Nathalie Lessard et Juste Robert.
Ethnologue de formation, Todd Picard a décidé récemment de retourner aux études pour faire une maîtrise sur mesure en musique et en arts visuels. «J'adore créer de la musique, mais le monde des arts visuels m'a toujours fasciné. Je pense pouvoir apporter une contribution dans ce domaine, mais de manière auditive», dit celui dont le projet de recherche-création est encadré par les professeurs Aaron Liu-Rosenbaum, de la Faculté de musique, Julie Faubert, de l'École d'art, et Robert Faguy, du Département de littérature, théâtre et cinéma.
Au Laboratoire des nouvelles technologies de l'image, du son et de la scène, l'étudiant travaille à la création d'une installation qui plonge le spectateur dans l'univers sonore de la guerre. Pour les besoins de ce projet, il a compilé plusieurs extraits de chansons de combat ou de propagande provenant des Archives de folklore de l'Université Laval.
Du lot, on trouve une pièce écrite en 1947 par Jeanne d'Arc Charlevoix, As-tu vu la bombe? Les paroles, qui font référence aux bombardements atomiques du Japon durant la Seconde Guerre mondiale, ont de quoi faire sourciller: «As-tu vu la bombe? Tous les Japs, en la voyant, ont crié “ayoye maman!”. Elle était grosse comme un citron, j'vous dis que ça n'a pas été long. À 25 milles à la ronde, c'était comme la fin du monde.»
«Je suis fasciné par le ton décalé de cette chanson. En 1947, personne ne s'est offusqué d'entendre de telles paroles, alors qu'aujourd'hui, ça ne passerait pas au niveau de l'opinion publique. Tout est une question de contexte et c'est ce qui m'intéresse dans mes recherches», dit Todd Picard.
L'installation qu'il prépare est un assemblage d'extraits de chansons de guerre et de bruits de combat, comme des cris et des tirs de mortiers. Avec ce projet, dont une première mouture a été présentée au Mois Multi l'an dernier, l'artiste a voulu donner un aperçu de ce que vivent les soldats au front. «L'exposition sonore de la guerre en est une particulière, que l'on peut difficilement reproduire médiatiquement. Il est possible de prendre des photos ou de filmer des images très horribles, mais c'est plus compliqué avec le son. J'ai voulu faire ma propre interprétation artistique de ce phénomène», explique-t-il.
En plus de ce projet, Todd Picard prépare une série de concerts mensuels, de courtes prestations de trente minutes qu'il livrera en compagnie de musiciens invités. Le premier de ces spectacles aura lieu le 31 mars, à 14h, au Pantoum et mettra en vedette Marie Fillod aux percussions et Juliette Decembre aux claviers.