
Carlos Reygadas a entrepris une carrière de réalisateur au Mexique après avoir été avocat pour l'ONU.
— Louise Leblanc
«Dans les écoles de cinéma et dans la plupart des films commerciaux, on insiste beaucoup sur la nécessité de l'histoire, explique Carlos Reygadas. Je ne comprends pas cette idée. Pour moi, la littérature est beaucoup plus propice que le cinéma si l'on veut raconter une histoire.» Sur la même lancée, le réalisateur dénonce la tendance du cinéma grand public à recourir sans cesse aux mêmes formes de récit, à enfermer les films dans un langage trop codifié, autrement dit à «congeler» le cinéma, selon ses propres termes.
Partisan d'un cinéma d'art, bien loin de l'industrie, il rêve ses films et y réfléchit pendant de longues années. Au hasard de ses pérégrinations à travers la planète et de ses rencontres, sa prochaine production mûrit lentement dans sa tête, à mi-chemin entre rêve et conscience. À la manière d'un peintre, il pense aux ambiances, aux paysages, aux textures, à la lumière qui vont composer son prochain film, toujours basé sur l'art de la présence et non de la représentation.
Questionné par le réalisateur et chargé de cours du Département de littérature, théâtre et cinéma, Jeremy Peter Allen, qui animait cette rencontre, Carlos Reygadas confirme qu'il emploie essentiellement des acteurs non professionnels. Des gens qu'il choisit au gré de ses rencontres et dont la personnalité correspond à celle du personnage dont il rêve. Cette façon de faire, plutôt inusitée dans un monde du cinéma surtout basé sur les grandes vedettes, lui permet de coller davantage à la réalité. Il peut s'éloigner ainsi de la représentation. «Parfois, je filme des gens en train de faire l'amour plutôt que de le suggérer, simplement parce que le spectateur doit expérimenter ce qu'il voit, pas seulement suivre un récit», témoigne le réalisateur.
Interrogé sur la méthode qu'il a expérimentée en tournant son premier long-métrage Japón, en 2002, le réalisateur explique qu'à ses yeux le cinéma n'a rien d'une pièce de théâtre filmée. À la recherche d'une comédienne capable d'incarner une vieille paysanne, il a compris qu'une personne de la campagne était bien plus véridique que n'importe quelle actrice déclamant un texte. Même s'il laisse une part d'improvisation à ses films, paradoxalement, cet artisan prépare soigneusement ses scénarios. Celui qui a appris le cinéma en visionnant encore et encore des films sur son magnétoscope écrit et dessine soigneusement chaque plan à filmer. Ses tournages s'étalent parfois sur trois ans, avec une équipe réduite d'une dizaine de techniciens, très proches de lui.
C'est une méthode à mille lieues de celles de l'industrie du cinéma, reconnaît le réalisateur. Comme pour illustrer sa position particulière, Carlos Reygadas raconte avec un sourire en coin sa visite au Maroc, sur le tournage de Babel, le film d'Alejandro Inarritu. «En y allant, j'ai croisé près de soixante jeeps, des trailers, un chapiteau de cirque trois fois plus gros que le Cirque du Soleil, dit-il. Mais finalement, après tout ça, il y avait seulement un acteur, Brad Pitt, une caméra et du sable.» Une façon de dire que le cinéma doit miser sur l'essentiel pour toucher le public.

Photo : Louise Leblanc

Photo : Louise Leblanc