
Quelle incidence a eu la campagne sur les ventes de Nike et le rendement de son action?
Nike a créé un vrai «bang» en ayant recours à une figure polémique comme celle de Kaepernick. Elle a aussi lancé sa campagne au moment même où s'ouvrait la nouvelle saison de la Ligue nationale de football. Certains ont parlé d'une augmentation d'un tiers des ventes, mais, selon moi, il faut se méfier des chiffres donnés après une semaine ou un mois. On doit faire attention à l'effet de nouveauté, qu'il soit positif ou négatif, car ce n'est pas très pertinent de comparer les ventes à partir d'une journée précise. Ceci dit, avec cette campagne qui souligne les 30 ans de son slogan «Just Do It», Nike a pris une position forte, dans la droite ligne de ses actions déjà prises sur l'égalité. On peut distinguer deux effets. D'une part, la campagne a permis d'aller chercher de nouvelles parts de marché. D'autre part, la marque a renforcé sa position auprès d'un segment du public pour qui ces valeurs sont importantes, notamment les jeunes et les milléniaux. Désormais, ils ont encore plus d'attachement pour Nike. Or, les consommateurs loyaux se classent comme les plus importants en marketing. En effet, il semble moins coûteux de conserver des acheteurs que d'aller en chercher de nouveaux, surtout s'ils consomment encore plus de produits de la marque.
Certains critiquent Nike en laissant entendre que la marque a utilisé la notoriété de l'ex-quart-arrière sans endosser son action politique en faveur de la justice sociale. Qu'en pensez-vous?
Nike est une entreprise commerciale qui cherche à faire des profits. Il ne s'agit pas d'un acteur social, même si, dans une certaine mesure, la campagne avec Kaepernick exploite le thème de l'engagement. En réalité, Nike appuie l'athlète en le gardant sous contrat, en l'utilisant dans les publicités et en montrant qu'il se tient debout pour une cause. Laquelle? On ne sait pas vraiment. S'agit-il d'un soutien dans son combat contre la Ligue nationale de football (qui refuse encore de le réintégrer comme joueur, NDLR)? Ou d'un soutien pour le fait qu'il s'agenouille durant l'hymne national avant les matches pour dénoncer le racisme? Au fond, les consommateurs peuvent interpréter le message un peu comme ils le veulent. Le slogan «Just Do It» fonctionne d'une manière analogue. Certains l'interprètent comme une invitation à faire du sport pour maigrir, d'autres le voient comme un appel à se battre jusqu'au bout. Nike n'a pas à être explicite. Les gens font les liens eux-mêmes.
Quelles répercussions va avoir cette campagne de Nike sur celle de ses concurrents?
Je ne pense pas que les autres marques vont tenter de copier cette campagne. Chacune s'efforce d'être unique, d'avoir sa propre identité. Nike se présente comme une marque qui fait des campagnes un peu provocantes, surtout aux yeux des consommateurs américains. À l'étranger, les gens ont tendance à trouver le message très cool, à cause du sentiment anti-américain. Adidas, pour sa part, adopte une approche plus conservatrice en utilisant notamment Kanye West, un chanteur très proche des républicains. De son côté, Puma se définit d'une manière plus fashion pour une certaine partie de ses ventes. Chacune de ses marques tente donc se positionner de manière forte, en fonction des valeurs du public qu'elle recherche. Nike, par exemple, a lancé la campagne Equality juste après l'élection de Donald Trump. À l'époque, l'entreprise a eu notamment recours à un Américain musulman qui avait participé aux Jeux olympiques et à un transgenre. Il s'agissait de souligner à quel point tous les athlètes sont égaux, même aux États-Unis. C'était une façon de se positionner face aux idées très agressives du président sur les immigrants. Cela reprenait donc l'idée, sans le dire ouvertement, que l'on doit se tenir debout pour ce qu'on est.

Frank Pons est un spécialiste du marketing du sport.