C’est l’explosion des applications mobiles dans le domaine de la santé qui a poussé les chercheurs à s’intéresser aux produits ciblant l’évaluation psychologique. En 2017, il existait environ 325 000 applications mobiles en santé, une hausse de 25% par rapport à l’année précédente. Environ 9% de ces applications touchent au domaine de la santé mentale. «Comme c’est un domaine en pleine émergence, nous étions curieux d’examiner les applications existantes afin d’en évaluer la pertinence pour les professionnels et pour la population en général», résume la doctorante Caroline East-Richard. Les chercheurs ont fait un survol des applications mobiles accessibles sur les sites canadiens d'Apple Store ou de Google Play. «Nous avons écarté les nombreuses applications qui s’apparentaient à de la psycho-pop pour nous concentrer sur les rares applications qui semblaient sérieuses», précise-t-elle.
Onze des applications retenues étaient destinées aux professionnels. On y trouve, par exemple, des applications servant à évaluer la mémoire, l'attention ou le langage ou encore des questionnaires sur la dépression ou le trouble déficitaire de l’attention. Cinq applications étaient ouvertes à tous et visaient, entre autres, à suivre l'évolution de son humeur au fil des jours, à évaluer ses symptômes de dépression et d'anxiété, à mieux connaître et à mieux gérer les symptômes du stress post-traumatique ou encore à repérer les symptômes de démence chez un proche.
Premier problème constaté par les chercheurs: il est très difficile de savoir si ces applications reposent sur des données probantes. «Les outils utilisés dans la pratique courante en psychologie et en neuropsychologie s’appuient sur des études scientifiques rigoureuses que l’on peut consulter grâce à des références bibliographiques. C’est rarement le cas pour les tests proposés dans les applications mobiles, ce qui soulève des questions sur la validité et la fiabilité de ces outils», souligne Caroline East-Richard.
Deuxième problème majeur: la protection des renseignements fournis par les usagers. Les chercheurs ont constaté que moins de la moitié des applications étaient protégées par un nom d’utilisateur et un mot de passe. «Cela signifie que la confidentialité des renseignements personnels des patients pourrait être compromise si un professionnel égare ou se fait voler son téléphone ou sa tablette, explique la doctorante. De plus, aucune information n’est fournie concernant les serveurs où les données sont emmagasinées et aucune information ne permet d’affirmer que ces serveurs sont sécuritaires. Il est donc impossible de déterminer si les données sont entre les mains de compagnies ayant des intérêts différents du but premier des applications en santé mentale. Il y a un risque que ces renseignements servent à dresser un profil des usagers afin de les exposer à de la publicité ciblée.»
Même si elles ne remplaceront jamais les professionnels de la santé psychologique, les applications mobiles ont tout de même un potentiel intéressant, estime l’étudiante-chercheuse. Elles pourraient notamment faciliter l’accès aux ressources psychoéducatives et réduire la stigmatisation liée à la maladie mentale et à la demande d’aide psychologique. «Pour qu’elles fassent une percée auprès des professionnels, il faudra toutefois que les concepteurs de ces outils règlent les problèmes de validité des tests et de confidentialité des données. Il faudra aussi que les applications apportent une valeur ajoutée en rendant leur travail plus efficace. Si on en vient là, il n’est pas impensable que les professionnels puissent un jour prescrire une application mobile à leurs patients.»
La doctorante admet qu’il n’est pas facile pour le non-spécialiste de s’y retrouver dans cette jungle d’applications. «Le mieux à faire est encore de demander l’avis éclairé d’un psychologue ou d’un neuropsychologue. À partir des questions et des tests contenus dans les applications, les professionnels peuvent rapidement se faire une idée sur la fiabilité et le sérieux d’un outil.»