
Le nouveau contexte de la recherche dans l'Arctique implique que les Inuit ne veulent plus être de simples objets de recherche. Ils veulent participer à la définition des priorités et des objectifs. Ils veulent aussi voir des recherches qui apportent des résultats concrets et des changements.
— Caroline Hervé
La professeure Caroline Hervé enseigne au Département d'anthropologie. Elle est également titulaire de la Chaire de recherche Sentinelle Nord sur les relations avec les sociétés inuit. Le mardi 5 juin, à l'École d'architecture, elle a prononcé une allocution sur les défis de la recherche dans l'Arctique. Son exposé a eu lieu lors des Journées nordiques. Cette activité était organisée par l'Institut nordique du Québec. Les Journées nordiques permettent de se familiariser avec les projets de recherche portant sur les enjeux du Nord.
Selon la professeure Hervé, les Inuit sont l'un des peuples les plus étudiés au monde, ce qui n'est pas sans conséquences. «Il existe une certaine fatigue chez les Inuit à l'égard des chercheurs universitaires, dit-elle. Typiquement, ces chercheurs arrivent et repartent sans tous tisser de véritables liens avec les populations locales. Également sans toujours partager les résultats de leurs travaux.»
Dans la culture inuit, poser des questions n'est pas très bien vu. Encore aujourd'hui, beaucoup d'Inuit considèrent la recherche scientifique comme une pratique étrange, sans sens véritable, voire impolie. D'autres voient les activités de recherche comme une pratique coloniale.
Dans ces milieux aux prises avec différents problèmes, il peut être difficile à la fois de trouver un interprète, de trouver des personnes qui acceptent de se confier à un chercheur et de convaincre du bien-fondé d'un projet de recherche.
«Ce contexte, soutient Caroline Hervé, a des répercussions fortes sur le plan interpersonnel entre le chercheur et les Inuit, mais aussi sur notre capacité à mener à terme et dans de bonnes conditions des recherches sur le terrain.»
La professeure mène depuis une dizaine d'années des recherches sur les dynamiques politiques des communautés inuit. Elle a notamment effectué un stage postdoctoral à l'Université d'Alaska à Fairbanks. En 2017, l'Association des femmes inuit du Nunavik, un organisme qu'elle dirigeait, a organisé un atelier sur l'alcoolisme. Cette activité de deux jours a attiré une dizaine de femmes venues de trois villages. «Mes perspectives anthropologiques, explique-t-elle, m'avaient permis de comprendre que l'aide la plus importante chez les Inuit est recherchée auprès des gens qui ont eu les mêmes problèmes, qui ont de l'expérience et la capacité à prendre soin des autres. L'atelier a été un succès.»
Qu'il s'agisse des troupeaux de caribous, de la glace, du climat ou de la gouvernance, en fait peu importe la discipline scientifique, un chercheur intéressé par le Nord se doit de prendre en compte l'histoire du peuple inuit. Ces communautés occupent leur vaste territoire depuis plusieurs siècles. Dans la seconde moitié du 20e siècle, la sédentarisation a obligé les Inuit à s'adapter à un nouveau mode de vie amené du sud. Aujourd'hui, ils sont engagés dans un processus de décolonisation. Ils revendiquent notamment le droit de prendre les décisions concernant leurs propres affaires.
Cette attitude s'observe également dans ce que l'on pourrait appeler le nouveau contexte de la recherche dans l'Arctique. Selon la chercheuse, les Inuit ne veulent plus être de simples objets de recherche. Ils veulent participer à la définition des priorités et des objectifs. Ils veulent aussi voir des recherches qui apportent des résultats concrets et des changements. «Les Inuit veulent être des acteurs de premier plan de la recherche», affirme Caroline Hervé.
Des défis attendent les chercheurs dans ce contexte de partenariat. «Les chercheurs, poursuit-elle, doivent aller moins vite, ils doivent prendre le temps de consulter leurs partenaires. Est-ce que les communautés inuit ont un droit de regard sur ce qu'écrit le chercheur? Ce dernier a-t-il la capacité de remettre en cause sa conception de ce qu'est la recherche? Sommes-nous tous prêts à nous ouvrir à d'autres façons de penser, d'observer, d'évaluer?»