Voilà la thèse qu'il défend avec son collègue Samuel Alizon, spécialiste de l'écologie évolutive au CNRS, dans un récent numéro de la revue PLOS Biology. Preuve que le choc des idées qui émerge du regard croisé des disciplines répond à un besoin, leur article a été consulté à plus de 4 000 reprises depuis sa mise en ligne le 18 janvier. «Le fait de publier un article de sciences humaines dans une revue comme PLOS Biology décloisonne les disciplines, constate le professeur Méthot. Nos propos touchent des problèmes très actuels en microbiologie médicale, mais nous les ancrons dans une perspective historique et sociale qui permet aux scientifiques de s'affranchir d'une vision en silo.»
Dans le rétroviseur de l'histoire, il semble clair que les enseignements de la biologie évolutive auraient pu guider la microbiologie médicale dans sa quête. D'une part, le changement perpétuel des espèces et leur adaptation à de nouveaux environnements sont parmi les fondements du darwinisme et ils laissaient présager l'apparition de maladies émergentes comme l'Ebola, le SRAS, la fièvre du Nil occidental ou de nouveaux sous-types d'Influenza. D'autre part, la biologie évolutive prédit qu'une pression sélective comme l'administration d'un antibiotique élimine les microorganismes sensibles, mais laisse le champ libre à ceux qui y sont partiellement ou totalement résistants. Ces derniers survivent et se multiplient de sorte que l'antibiotique devient inefficace. Augmenter la dose ou recourir à un nouvel antibiotique produira éventuellement le même résultat.
Comment expliquer que la microbiologie médicale ait fait la sourde oreille aux enseignements de l'évolution et qu'elle se soit entêtée dans sa recherche de magic bullets – des molécules efficaces contre un pathogène cible sans effets secondaires pour l'hôte – et dans sa stratégie de «frapper tôt et frapper fort», qui ont favorisé l'émergence de microbes résistants? Il y a de nombreuses raisons historiques, sociales et épistémologiques à ce cloisonnement, avance Pierre-Olivier Méthot. Parmi celles-ci, mentionnons le fait que la biologie évolutive a été écartée de la formation des médecins dès 1910 aux États-Unis parce qu'on jugeait qu'il s'agissait d'une science d'observation s'intéressant davantage aux fossiles qu'aux microbes. La France, qui a embrassé avec une fierté patriotique les doctrines de Pasteur, se méfiait des thèses darwiniennes venues d'outre-Manche. Par ailleurs, l'eugénisme et sa quête d'amélioration des populations humaines par reproduction sélective ont rendu les apôtres du darwinisme peu fréquentables après la Deuxième Guerre mondiale. «De plus, les objets de chacune des deux sciences sont distincts, ce qui n'a pas favorisé leur rapprochement, souligne le philosophe. La microbiologie médicale s'intéresse à l'individu et elle veut le soigner en rétablissant ses constantes physiologiques. De son côté, la biologie évolutive s'intéresse aux populations et elle tente d'expliquer les variations dans la fréquence des gènes.»
La prise de conscience de l'impasse dans laquelle s'était engagée la microbiologie médicale s'est produite tardivement, constate le professeur. «La pandémie de sida a marqué la fin de l'âge d'or du modèle de lutte contre les infections qui avait émergé quelques décennies auparavant et qui faisait miroiter la possible éradication de tous les organismes infectieux.» Aujourd'hui, l'approche guerrière contre les maladies infectieuses cède le pas à des approches à composantes écologiques et évolutives qui préconisent le contrôle des agents pathogènes et le renforcement du système immunitaire de l'hôte. On envisage notamment des thérapies qui misent sur une combinaison de molécules thérapeutiques administrées à doses variables, la transplantation de microbiote ou encore la thérapie par les phages, une avenue que les antibiotiques avaient reléguée aux oubliettes.
Selon le professeur Méthot, les modalités de ces nouvelles stratégies restent à définir et les médecins ne sont pas les mieux placés pour le faire. «Le cursus de formation des médecins est déjà très chargé et il ne faut pas tenter d'en faire des spécialistes de la biologie évolutive. Je crois plutôt que des biologistes de l'évolution devraient être intégrés aux équipes de santé publique et d'épidémiologie qui cherchent des solutions aux défis posés par les maladies infectieuses. Darwin et Pasteur ne se sont pas parlé lors de la conférence de Londres, mais il est urgent que les deux disciplines scientifiques qu'ils ont aidé à créer engagent le dialogue.»