
Claude Rouillard
Qu’est-ce qui vous semble le plus préoccupant dans la crise actuelle des opioïdes, une crise qui touche de plus en plus le Québec?
L’augmentation des décès et des hospitalisations provoqués par le Fentanyl touche à la fois des usagers de drogues d’abus et des personnes qui consomment ce médicament à des fins thérapeutiques. Ces patients en arrivent à prendre des doses de plus en plus fortes et ils se retrouvent à l’hôpital. Un document publié récemment par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) évoquait des surdoses chez des quinquagénaires et des sexagénaires qui utilisent ce médicament pour des douleurs chroniques. Il semble donc clair que la popularité des opioïdes ne cesse d’augmenter. Ce phénomène, qui a commencé dans les années 90, s’avère de plus en plus difficile à combattre, d’autant plus que des laboratoires clandestins produisent des drogues de synthèse. Ils synthétisent du Carfentanil, du Bromadol (BDPC), du W18 et ils n’ont plus besoin de passer par des organisations criminelles pour distribuer leurs produits. Les consommateurs les achètent directement sur Internet et les reçoivent par la poste puisque les lettres pesant moins de 32 grammes ne sont pas contrôlées. Or, il suffit de doses très minimes de ces drogues de synthèse, soit environ 1 mg, pour avoir des effets. On peut donc se faire livrer la marchandise tout simplement par courrier…
Les pharmacies québécoises offrent désormais un antidote, le Naloxone, comme c’est le cas en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique depuis 2012. Qu’en pensez-vous?
Je suis heureux de voir que le gouvernement québécois prend enfin la mesure de cette crise, après l’avoir niée durant des années. Il a fallu attendre que le reste du Canada connaisse une situation d’urgence pour que le Québec réagisse. Je vous rappelle qu’à la fin juin, le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, considérait que nous ne vivions pas ici de crise liée au Fentanyl. Pourtant, les autorités policières ont saisi, l’an dernier, du Carfentanil, une drogue 1 000 fois plus puissante que le Fentanyl, à l’aéroport de Mirabel. Une dose de 2 mg, soit deux grains à peine visibles à l’œil nu, suffit à provoquer la mort. Beaucoup de personnes dans le reste du Canada ont pu survivre à une surdose à ce type de substance grâce au Naloxone, un antidote qui constituait l’unique moyen de les sauver. L’avantage, c’est que ce médicament n’a pas d’effets secondaires. Il n’y a donc pas de danger à le donner, même s’il s’agit d’une intoxication non liée aux opioïdes. Disponible aussi sous forme de vaporisateur nasal (le Narcan, ndlr), cet antidote est bien plus facile à administrer qu’une injection. Il est donc très important que sa distribution soit très étendue et qu’un grand nombre de gens soient formés à le donner.
Les mesures annoncées par le ministère de la Santé et des Services sociaux prévoient aussi une plus grande surveillance des ordonnances d’opioïdes délivrées par les médecins québécois….
Je pense qu’il s’agit d’un premier pas. Désormais, il faut former les médecins à une meilleure pratique en matière d’ordonnances des opioïdes. Actuellement, aux États-Unis, les directives concernant ce type de médicaments changent aussi. Au Canada, plusieurs organismes se penchent sur cette question. Santé Canada, appuyé par l’Association des facultés de médecine du Canada, dispose d’un plan en cinq volets pour notamment mieux informer les Canadiens des risques liés aux opioïdes et réduire l’accès aux traitements inutiles. Pour ce qui est du Québec, la mesure prise par le gouvernement provincial va permettre de recueillir des données précises sur la pratique des ordonnances médicales. Le National Pain Centre (Centre national de la douleur), qui réunit des chercheurs et des praticiens du Canada, vient d’émettre différentes recommandations aux médecins. Cet organisme suggère, par exemple, d’essayer d’autres médicaments avant de proposer des opioïdes aux patients non cancéreux souffrant de douleurs chroniques. C’est un changement majeur, car jusqu’à présent, les médecins commençaient souvent leur traitement avec le Fentanyl.