«Je n'ai pas été surpris outre mesure parce que je connaissais l'existence des revues et des conférences potentiellement prédatrices ou frauduleuses, raconte le fellow de recherche en médecine d'urgence. Je n'ai répondu à aucun de ces courriels et je n'ai pas demandé que mon nom soit retiré des listes d'envoi parce que je voulais étudier ce phénomène et son ampleur sans intervenir dans le processus.»
Dans les 12 mois qui ont suivi la parution de son article, Éric Mercier a reçu 502 courriels dont le contenu présentait les caractéristiques des revues et conférences potentiellement frauduleuses, telles que définies par deux spécialistes du domaine, Jeffrey Beall et James McCrostie. Le chercheur a précieusement conservé ces courriels, il les a passés au peigne fin et il a profité du congrès annuel de l'Association canadienne des médecins d'urgence, qui se déroulait à Whistler la semaine dernière, pour présenter le fruit de ses analyses.
Ces courriels contenaient 237 invitations pour publier un article et 210 invitations pour présenter une communication dans un congrès. Les autres messages l'invitaient à devenir membre d'un comité éditorial, éditeur en chef ou éditeur invité. «C'est beaucoup d'honneur après un seul article comme auteur de correspondance et tout cela aurait très bien paru dans mon curriculum vitae», fait-il observer. Les deux tiers de ces invitations n'avaient aucun lien avec son domaine de recherche. «Les organisations qui sont derrière ces courriels ne se donnent pas la peine de faire un tri très fin. Elles ajoutent sans doute les adresses courriel d'auteurs de correspondance à leur base de données et elles font des envois massifs qui ratissent très large.»
D'ailleurs, contrairement à la plupart des nouvelles revues scientifiques qui sont très spécialisées, les revues frauduleuses sont plutôt généralistes. «Environ 71% des revues qui m'ont contacté acceptent des articles dans tous les domaines des sciences. De plus, 70% des messages rappellent avec insistance l'existence d'une date de tombée, sans doute pour nous inciter à passer à l'action rapidement, ce qui est étrange considérant que ces revues en ligne peuvent ajouter des articles au fur et à mesure qu'ils sont prêts.»
Moins de 15% des messages mentionnaient l'existence de frais de publication et seulement 3 messages présentaient clairement la facture totale pour la publication d'un article. «Une personne qui s'engage dans la publication d'un article dans ces revues devra payer des frais inattendus à différentes étapes du processus. Une fois qu'elle a investi du temps et de l'argent dans un article, il devient difficile d'arrêter, surtout que plusieurs de ces éditeurs demandent que les droits d'auteur leur soient cédés dès la soumission du manuscrit.»
Le phénomène serait moins pernicieux s'il s'agissait d'une supercherie totale, mais, malheureusement, ce n'est pas le cas. «Il y a apparence de crédibilité et de légitimité parce que les revues frauduleuses sont publiées sur le Web et la plupart des conférences ont véritablement lieu, souligne Éric Mercier. Le problème vient du fait qu'il n'y a aucun souci d'assurer la qualité et la fiabilité de l'information scientifique présentée dans ces revues ou dans ces conférences.»
La multiplication des revues potentiellement frauduleuses observée depuis cinq ans – il y en aurait maintenant quelque 1 200 – constitue un problème pour plusieurs raisons, juge-t-il. La première est qu'il s'agit d'une arnaque dont la facture est acquittée à l'aide de fonds de recherche provenant essentiellement de fonds publics. La seconde est qu'elle brouille la valeur des publications et des communications scientifiques, qui sont les mesures étalons de l'excellence en recherche. «Les chercheurs, en particulier les jeunes ainsi que les chercheurs de certains pays émergents, subissent de grandes pressions pour publier, rappelle-t-il. Certains pourraient être tentés de se tourner vers des revues frauduleuses pour se constituer rapidement et à peu de frais une liste de publications enviable.»
Enfin, la plus grande victime des revues frauduleuses est la science elle-même, estime Éric Mercier. En théorie, les études publiées dans des revues scientifiques sérieuses ont passé le test de la révision par les pairs. «Cela signifie qu'elles ont satisfait les exigences d'arbitres compétents, chargés de s'assurer que la recherche est fiable parce qu'elle a été faite selon des règles reconnues qui en garantissent la qualité.» Les révisions bâclées ou inexistantes des revues frauduleuses réduisent à néant cette assurance qualité. Le résultat: le volume grandissant d'articles publiés dans ces revues contamine le corpus de connaissances à partir duquel la science se construit. «Règle générale, les bases de données sérieuses comme Medline n'indexent pas ces revues, mais les moteurs de recherche comme Google le font. Bientôt, les personnes peu avisées ne seront plus en mesure de savoir ce qui est fiable et ce qui ne l'est pas, tout comme pour les fake news.»
Il n'existe pas de solution simple au problème, reconnaît Éric Mercier. L'idée de diffuser sur Internet une liste des revues potentiellement prédatrices semble difficilement applicable. En janvier 2017, la liste noire dressée depuis 2010 par Jeffrey Beall, de l'Université du Colorado, a été supprimée du Web, sans doute par crainte de poursuites judiciaires. «Il faut éduquer les chercheurs, en particulier les jeunes qui constituent des cibles plus vulnérables. Il faut les informer de l'existence du phénomène et des risques qui y sont associés. Il faut aussi encourager tous les chercheurs à adopter une attitude responsable et éthique en ne publiant pas dans des revues potentiellement frauduleuses.»