
Jusqu'ici, les historiens qui se sont penchés sur les rébellions de 1837-1838 ont généralement nié l'engagement des femmes. Les recherches de Mylène Bédard révèlent une diversité d'actions et de prises de parole des Bas-Canadiennes, dans l'espace privé comme dans l'espace public.
Son livre Écrire en temps d'insurrections. Pratiques épistolaires et usages de la presse chez les femmes patriotes (1830-1840) analyse 300 lettres écrites par des femmes liées à ce mouvement. Exclues des débats parlementaires et des activités militaires, celles-ci ont néanmoins joué un rôle décisif. Leurs textes révèlent une grande diversité d'actions et de prises de parole. À partir de recherches dans des archives et de dépouillement de journaux, Mylène Bédard a dressé un portrait de ces femmes.
«On retrouve chez les femmes une pensée politique et un rapport très fort avec l'actualité. Elles lisent constamment les journaux et sont bien au fait des événements. En l'absence des hommes, emprisonnés ou forcés de s'exiler, c'est par elles que l'information continue de circuler. Leurs lettres servent aussi de relais à la presse, victime de la censure. Des historiens disent que les femmes n'ont pas contribué aux événements insurrectionnels ou qu'elles ont adopté, pour la plupart, une attitude contre-révolutionnaire. Avec mon livre, j'ai voulu montrer le contraire: même s'il ne s'inscrit pas sur les champs de bataille, leur rôle politique a été très important et réunit une large palette de positions», affirme l'auteure.
Son ouvrage, une version remaniée de sa thèse de doctorat, lui a valu le Prix du Canada en sciences humaines et sociales 2017. Chaque année, cette prestigieuse récompense est attribuée aux meilleures publications canadiennes dans le domaine. Les lauréats sont choisis parmi les oeuvres ayant bénéficié d'une subvention du Prix d'auteurs pour l'édition savante, un programme chapeauté par la Fédération des sciences humaines.
Dans un communiqué, le jury dit avoir apprécié «le style remarquablement accessible de l'ouvrage de Mylène Bédard. Son analyse captivante pratiquée sur des sources jusque-là inexploitées redonne aux femmes leur place en tant que sujets d'une période mouvementée de l'histoire canadienne. Ce nouvel éclairage transforme le récit historique officiel principalement établi autour de figures masculines du mouvement révolutionnaire patriote.»
De toutes ces femmes inspirantes, l'auteure admet éprouver de l'admiration pour Julie Bruneau-Papineau. L'épouse du célèbre Louis-Joseph Papineau a rédigé plusieurs lettres à son mari. Très riche, le contenu de cette correspondance fournit une foule de détails sur son engagement politique. «Julie Bruneau-Papineau était très radicale et faisait même preuve de clairvoyance. Dès 1836, elle écrit à son mari qu'elle ne voit pas d'autres options que la violence, alors que l'activité parlementaire ne mène à rien. Très tôt, elle voit poindre la possibilité d'une insurrection, tandis que son mari n'est pas du tout rendu à ce stade. Constamment dans ses lettres, elle lui reproche de ne pas lui parler d'événements politiques importants. Celui-ci veut qu'elle consacre plutôt ses écrits aux enfants et à la vie familiale. Julie Bruneau-Papineau ne répond pas du tout aux attentes épistolaires de son époque.»
Un autre exemple d'implication féminine? «Lors de la seconde insurrection de 1838, une association paramilitaire a été formée de part et d'autre de la frontière américaine: les Frères chasseurs. Ceux qui voulaient en faire partie devaient prêter serment. Ils se sont regroupés dans un village, chez un patriote, mais celui-ci ne savait pas lire. C'est donc sa femme qui a assermenté les Frères chasseurs. Les historiens ont occulté cet épisode, dont on trouve pourtant des traces dans les témoignages de l'époque.»
En abordant cet angle mort de l'histoire du Québec, Mylène Bédard espère non seulement renouveler la perspective historique, mais aussi rectifier certaines idées reçues sur la littérature au 19e siècle, à laquelle les femmes ont également contribué. Son prochain ouvrage portera sur leur représentation dans la presse à partir des années 1840.