
Cette image tirée du Bréviaire de Renaud de Bar montre l'assaut d'un «château d'amour» et symbolise une tentative de conquête friponne, le lapin étant associé au sexe féminin.
— Bibliothèque municipale, Verdun
«En substituant aux preux chevaliers et à leur armement des animaux chevauchant un coq et un mouton, l'enlumineur parodie la culture courtoise des combats, explique Benoît Durand, inscrit à la maîtrise en histoire de l'art médiéval. Sur le plan lexical, jouter dans un tournoi se disait «bourder». Or, la variante «bourdée» renvoyait à l'acte sexuel. La caricature est donc ici doublée d'un calembour.»
Le jeudi 16 février, au pavillon La Laurentienne, a eu lieu le 17e colloque international étudiant Artefact, une activité organisée par l'Association étudiante des 2e et et 3e cycles du Département des sciences historiques. La présentation de Benoît Durand portait sur les marges à drôleries. «Il s'agit d'un moment fort particulier du développement de l'art médiéval, indique-t-il. Les marges à drôleries ont un caractère ludique, voire comique. Elles montrent que le Moyen Âge, que l'on qualifie de sombre et obscurantiste, savait aussi manier la satire et l'humour.»
Les marges à drôleries sont apparues en France et en Angleterre à partir de la seconde moitié du 13e siècle, au cœur de la période gothique. Pendant environ un siècle, ces dessins, rarement en lien avec le texte, décoreront les marges d'ouvrages essentiellement religieux, tels que les psautiers et les livres d'heures. Dans cette imagerie originale, hommes, femmes et êtres hybrides se côtoient parfois. Les marges à drôleries font la part belle aux animaux, notamment au singe et au lapin. Le premier excelle à créer la dérision par son imitation déformée de l'humain. La chasse, la dévotion et l'anticléricalisme figurent parmi les thématiques les plus exploitées. Le calembour est très présent. Le corpus des marges à drôleries s'avère d'une grande richesse d'imagination. Dans le clergé, la cible préférée des enlumineurs semble être l'évêque. Une image montre un renard portant la mitre épiscopale et se tenant debout sur ses pattes arrière. Une de ses pattes avant tient la crosse, l'autre fait le geste de bénir.
Ces drôleries ratissaient large, passant de la parodie à l'irrévérence, de la satire à l'insolite. Comme cette image montrant une nonne étreignant un moine… «Les marges à drôleries offraient aux enlumineurs un espace de relative liberté qui a favorisé une diversité dans leurs créations», souligne Benoît Durand. Selon lui, la présence, dans des livres de dévotion, d'images à caractère anticlérical, peut surprendre. «Mais, dit-il, il ne faut pas les voir comme une atteinte à la légitimité de l'Église comme institution permettant le lien entre Dieu et les humains. Il faut plutôt y voir des critiques de certaines structures spécifiques et de certains de ses acteurs. Ainsi, un évêque nu emporté par le Diable rappelle que même les hommes d'Église ne sont pas à l'abri du péché.»
Benoît Durand aime beaucoup l'idée du calembour visuel qui tourne autour de la figure du lapin. Il prend en exemple cette image tirée du Bréviaire de Renaud de Bar, conservé à la Bibliothèque municipale de Verdun, en France. Un château, assiégé par des chiens, est défendu par des lapins. «Le lapin attribue aux scènes de chasse un caractère sexuel évident parce que le terme latin du mot «lapin«renvoie à un terme français qui réfère au sexe féminin, explique-t-il. Dans l'image, le château assiégé devient une tentative de conquête friponne, parodie du culte de l'amour courtois.»
Selon l'étudiant-chercheur, le pouvoir de ces images découle de leur caractère tabou. «C'est ce caractère subversif qui permet à ces images d'être efficaces, affirme-t-il. Elles créent des inversions dans l'ordre social et génèrent des critiques. C'est le même caractère également qui les rend comiques à nos yeux. Et cela fonctionne encore avec n'importe quelle blague aujourd'hui: ce sont la dérision ou l'atteinte aux tabous sociaux qui engendrent le rire.»