
Les glissements pelliculaires emportent le sol minéral, le sol organique et toute la végétation qui y pousse, ne laissant que la roche mère nue.
— Sébastien Baillargeon
Les cicatrices en question résultent d'un glissement qui emporte tout – le sol minéral, le sol organique et toute forme de végétation qui se trouve dessus –, ne laissant derrière que la roche mère nue. Appelées glissements pelliculaires, ces perturbations ne se limitent pas à la vallée de la Jacques-Cartier. «On en retrouve aussi sur la Côte-Nord, dans le parc national des Grands-Jardins et dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, signale Martin Simard. Leurs dimensions sont de taille variable, mais, dans la vallée de la Jacques-Cartier, elles atteignent jusqu'à 500 mètres de long par 50 mètres de large.»
On savait déjà que trois ingrédients devaient être réunis pour conduire à un tel glissement: une pente abrupte, un sol peu épais et un taux élevé d'eau dans le sol. Par contre, comme tous les sites réunissant ces conditions ne sont pas dépouillés par des glissements, il manquait visiblement une inconnue à l'équation. Pour la trouver, les professeurs Lajeunesse et Simard ont comparé les caractéristiques physiques et écologiques de 28 sites de la vallée de la Jacques-Cartier frappés par un glissement pelliculaire à celles de 50 sites témoins situés à proximité, à l'aide de données pré-glissement provenant de diverses sources.
Leurs analyses, publiées dans un récent numéro de la revue Ecosystems, confirment le rôle de la pente et du sol dans le risque de glissement, mais un nouveau suspect a fait son apparition: l'intensité des dommages causés par la tordeuse des bourgeons de l'épinette. «La tordeuse tue de 60% à 100% des arbres dans les peuplements qu'elle attaque, rappelle le professeur Simard. Quant aux arbres qui survivent, ils perdent jusqu'à 75% de leurs radicelles. Le résultat dans les deux cas est que le réseau de minuscules racines qui assure la stabilité du sol est en bonne partie détruit après le passage de la tordeuse. Une fonte printanière abondante ou d'importantes précipitations font le reste du travail dans les sites où le sol est mince et la pente prononcée. D’ailleurs, la plupart des glissements que nous avons étudiés sont survenus en 1996, l'année du fameux déluge du Saguenay.»
On mesure encore mal toute l'ampleur des perturbations naturelles entraînées par la tordeuse, estime le chercheur. «La dernière grande épidémie, qui a eu lieu entre 1967 et 1988, a touché le tiers de la superficie des forêts du Québec. En Amérique du Nord, peu d'espèces ont un effet aussi grand sur les forêts. Comme une épidémie dure entre 30 et 40 ans, un chercheur n'en voit passer qu'une seule pendant toute sa carrière. Depuis 2006, une nouvelle épidémie se dessine sur la Côte-Nord et, avec des chercheurs du Service canadien des forêts, nous sommes sur le terrain pour en suivre l'évolution et pour mieux comprendre toutes les perturbations écologiques qu'elle engendre.»