
Le mythique Café de Flore, lieu de l'élite intellectuelle de l'entre-deux-guerres à Paris.
C'est cette facette méconnue de Saint-Germain-des-Prés qu'Éric Dussault analyse dans sa thèse de doctorat en histoire intitulée Les mythes et la réalité de l'âge d'or de Saint-Germain-des-Prés (1945-1960) de 1945 à nos jours. Au moment où le Fil l'a rencontré, Éric Dussault donnait une énième entrevue médiatique sur sa recherche qui débouchera sur un livre, publié en avril. Sans compter deux conférences très courues qu'il a prononcées le 21 janvier au Musée de la civilisation à l'occasion de l'exposition Paris en scène 1889-1914. À n'en pas douter, le sujet captive les foules.
Chargé d'enseignement au Département d'information et de communication, Éric Dussault a commencé à s'intéresser au mythique quartier parisien lors d'un séminaire de recherche. Il s'est rendu compte que tout ce qu'on connaissait du Saint-Germain-des-Prés de l'entre-deux-guerres provenait des journalistes, des autobiographies de vedettes ou encore des guides touristiques.
«D'après ces ouvrages, l'existence y était facile, et la vie des habitants du quartier tournait autour des boîtes de jazz et des cafés, dit-il. On a aussi tenté de faire croire que les jeunes étaient tous des intellectuels qui lisaient Sartre. En fait, une minorité essayait de se faire un nom dans le milieu des arts. Mais la majorité ne savait même pas qui étaient les existentialistes et ne s'intéressait pas au jazz contemporain. Loin d'être exclusivement un haut lieu de la vie intellectuelle, c'était aussi le quartier gai de Paris et de la jeunesse pauvre où il y avait de la drogue, du marché noir et des clochards. Enfin, les Noirs qui vivaient dans le quartier n'étaient pas tous des jazzmen, contrairement à l'image qui est véhiculée au cinéma ou sur les photos de l'époque.»
Pour parvenir à ces conclusions, Éric Dussault a passé trois ans à Paris, fouillant notamment les archives de la Bibliothèque nationale de France et celles du Centre national du cinéma et de l'image animée. Il a également parlé avec des personnes ayant habité le quartier dans les années 1940 et 1950. Aucune n'avait été directement témoin de ces nuits folles ayant fait la légende de Saint-Germain-des-Prés.
L'actrice et chanteuse Juliette Gréco est l'une des figures artistiques qui n'a jamais cessé d'alimenter ce mythe. À 86 ans bien sonnés, celle qu'on a surnommé la muse de Saint-Germain continue de donner des spectacles, dans le sillage de ses années de gloire. Avec Boris Vian, décédé à 39 ans en 1959, elle demeure une icône de la chanson rive gauche. Tout cela agace un peu Éric Dussault. «Dans les documentaires qui passent à la télé, on continue de présenter une image idyllique du quartier, affirme-t-il, alors qu'il s'agit selon moi d'une marque de commerce jugée gagnante par les gens d'affaires et les médias de l'époque.»